Pereira Prétend

Adapté d’un roman d’Antonio Tabucchi, Pereira Prétend nous narre la lente maturation, chez un homme d’âge mûr, de sa conscience politique dans un Lisbonne lumineux. Un plaidoyer politique contre la majorité silencieuse servit par un dessin tout en subtilité.

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Synopsis:

Lisbonne 1938. Vivant dans la nostalgie de ses années de jeunesse, le Doutor Pereira est un homme lettré, entre deux âges, qui est hanté par l’idée de résurrection de la chair.

Rédacteur en chef de la rubrique culturelle du Lisboa, un quotidien catholique affilié au pouvoir Salazariste, l’homme mène une vie bourgeoise, faite de conformisme et d’excès alimentaires. Un jour, dans le tram, il tombe par hasard sur le compte-rendu d’une thèse de philosophie qui attise sa curiosité. Il décide dès lors de rencontrer son auteur. Ce dernier, prénommé Monteiro Rossi,  s’avère être un jeune homme idéaliste, sans le sou, qui fréquente les milieux révolutionnaires.

Mû par une impulsion irraisonnée, Pereira décide d’embaucher le jeune homme en tant que pigiste et lui confie la rédaction de nécrologie d’auteurs littéraires en prévision de leurs décès.

vignette-bis_pereira_rosebulLes premiers essais s‘avèrent impubliables tant le jeune homme se laisse emporter par la fougue de ses idées politiques peu conformes avec le climat ambiant d’un pays en proie aux exactions d’un pouvoir militaire qui n’hésite pas à arrêter ses prétendus opposants politiques en pleine rue.

Contre toute attente et au mépris de la Raison, Pereira s’obstine à solliciter les écrits de ce jeune homme aux comportements si éloignés des siens. Peu à peu, entre cet homme qui refuse de voir les exactions commises par le pouvoir et le révolutionnaire exalté, une étrange relation se noue.

Avis:

Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’explosion de couleurs : des oranges lumineux, des bleus profonds, des beiges tendres : la palette est variée et somptueuse. Elle donne un ton chaleureux à l’album.

intro_pereira_rosebulGrâce à ce procédé, grâce à ces choix, l’auteur parvient à nous faire ressentir les sensations qu’éprouvent les personnages : comme Pereira, on se sent oppressé par la chaleur qui étreint la ville en ce début de mois d’aout 1938. A contrario, le bleu profond de l’océan  quand il se rend à Paredes, nous offre une oasis de fraicheur, l’oppression se dissipe, l’intrigue marque un temps d’arrêt. Comme le protagoniste, nous apprécions les passages sylvestres qui ralentissent le récit, le lecteur respire à pleins poumons ces parcs et ces jardins paisibles et rassurants. Enfin, le choix des teintes obscures et des silhouettes en contrejour qui illustrent les rencontres nocturnes avec la communauté des jeunes idéalistes restitue cette ambiance de complot théâtrale qui sied à la situation. C’est un album charnel, presque sensuel.

Adapté d’un roman italien d’Antonio Tabucchi publié en 1994 chez l’éditeur Feltrinelli, et traduit en français dès 1995 chez C. Bourgeois, la narration de Pereira Prétend adopte d’emblée le ton d’une confession, presque d’un procès-verbal. Le récit nous est conté à la troisième personne : Le protagoniste n’agit pas, il « prétend » avoir agi de la sorte. Il « prétend » avoir « interprété les faits de telle manière ». A croire qu’il ne maitrise pas ses actes, victime des tourments de son âme.

En outre, l’emploi de cette tournure induit dès les premières pages un destin funeste. Il y a une mise en abîme, non seulement nous sommes spectateur, mais plus encore, nous sommes témoins d’un homme qui semble lui-même spectateur a posteriori de ses propres actes.

Remarquable trouvaille littéraire qui nous donne le sentiment que tout est joué. Que l’issue est incontournable. Sentiment d’impuissance devant un destin que nous imaginons tragique.

vignette_pereira_rosebulNous avons cité précédemment dans ce blog  des albums qui relatent le passage à l’âge adulte d’un personnage. Dans le cas présent, c’est le récit d’une prise de conscience politique, d’une émancipation. Celle d’un homme qui vit dans le passé, qui dialogue avec le portrait de sa femme défunte et qui refuse de se confronter à l’actualité tragique à laquelle est confronté son pays.

Paradoxalement, c’est un récit résolument optimiste, un récit intemporel qui sied à notre actualité.

L’auteur réussit le tour de force de restituer à la fois l’amour d’Antonio Tabucchi pour Lisbonne et sa propre attirance pour cette très belle ville.

Un très bel ouvrage à lire sans hésiter. Un vrai coup de cœur.

 

cover-bis-pereira-pretend_rosebulScénario : Antonio Tabucchi et Pierre-Henri Gomond

Dessin : Pierre-Henri Gomond

Année : 2016

Editeur : Sarbacane

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