Tokyo Ghost – T1 / Eden Atomik

Un an après le complexe The Wake, deux ans après le cultissime Punk Rock Jesus, Sean Murphy nous revient en collaboration avec Rick Remender pour un album à la fois intelligent, rythmé et hypnotique intitulé Eden Atomik, premier tome de sa nouvelle série Tokyo Ghost.

Tokyo ghost_header_rosebul

Synopsis :

Los Angeles, 2089. La cité des anges est devenue un archipel dans lequel règne l’oisiveté et la débauche de divertissements violents. Debbie Decay et Led Dent font équipe en tant qu’agents de sécurité au sein d’une multinationale du divertissement pour traquer les criminels qui gravitent dans les bas-fonds de la cité et qui piratent les puces électroniques pour prendre le contrôle de la population, provoquant des assassinats de masse et des attentats contre les intérêts de leur employeur.

Tokyo ghost_vignette bis_rosebulEquipiers au quotidien, le duo est aussi un couple à la ville. Tête pensante de l’équipe, Debbie essaye également de sauver son couple de l’addiction aux programmes de divertissements dont son compagnon est la victime. Led, sorte de Robocop bodybuildé, ne peut décrocher de ces réseaux sociaux qu’il visionne en permanence au moyen de multiples écrans miniaturisés en lévitation devant son visage.

Tandis que le duo parvient à mettre un terme aux agissements de Davey Trauma, le plus dangereux criminel de la cité, au terme d’un affrontement aussi violent qu’intense, leur direction leur propose un deal pour obtenir leur liberté au terme de leur contrat actuel. Le conglomérat Falk Corp. qui les emploie souhaite que ces derniers s’introduisent à Tokyo City, un jardin paradisiaque où les réseaux sociaux et les équipements électroniques sont bannis pour déstabiliser son mode de gouvernement qui serait à l’origine de la création de pirates informatiques du type de Davey Trauma.

En échange de la liberté de son couple, Debbie accepte ce dernier contrat et le couple s’embarque bientôt sur un bathyscaphe discret en direction de Tokyo City.

Avis :

Autant le reconnaître d’emblée, depuis Punk Rock Jesus Sean Murphy est l’un des auteurs préférés de l’équipe de Rosebul.

Dans le premier opus de cette nouvelle série publiée aux USA en fascicules souples depuis la fin de l’année 2015, le scénariste Rick Remender et le dessinateur Sean Murphy nous propulsent dans un futur proche au cœur d’une civilisation abrutie par l’oisiveté et les réseaux sociaux.

Tokyo Ghost_planche_rosebul (2)Dès les premières planches, nous sommes brutalement plongés au sein d’un Los Angeles qui a été ravagé par le Big One, le fameux tremblement de terre tant redouté par les californiens. Les hommes vivent dans une cité lacustre au sein de laquelle les inégalités sociales se sont accentuées. Si les plus pauvres tentent de survivre au quotidien, les populations aisées s’adonnent à de multiples plaisirs sauvages et sanglants tandis que les robots accomplissent toutes les taches primaires nécessaires à la production de biens et d’énergie.

Le pouvoir politique semble complètement absent et le respect de l’ordre a semble-t-il été partiellement confié à des organismes privés qui agissent pour le compte de conglomérats. Les hommes ayant survécu aux bouleversements climatiques se vautrent donc dans une civilisation post-moderne vouée intégralement au divertissement et portée à son paroxysme par les progrès de la nanotechnologie.

De fait, grâce à la chirurgie, qui permet de modifier les corps à l’envie, et à des puces électroniques qui boostent leurs fonctions cérébrales, les hommes peuvent suivre en parallèle – et en permanence – de multiples flux d’information via une multitude de canaux. Dès lors, avides de toujours plus de sensations fortes, ils trouvent leur plaisir dans des mondes virtuels où règne l’ultra violence, le sexe, les sports sanglants et la démagogie extrême, ultime avatar de notre liberté d’expression toute puissante.

Au sommet de cette nouvelle société de l’Entertainment règne la Flak Corp., un conglomérat produisant du contenu et régissant le quotidien des cerveaux malades ultra boostés de l’île de Los Angeles.

Par contraste, le monde clos de Tokyo, dans lequel toute technologie est proscrite, apparaît comme le dernier refuge sur terre, sorte de paradis perdu dans lequel la réalité physique et l’éloge de la lenteur reprennent le pas sur le monde virtuel. Par nature, ce lieu, sorte d’Eden post-numérique, fait office de menace pour le conglomérat Flak Corp. qui ne rêve que de l’anéantir pour assouvir la toute-puissance de son modèle de civilisation.

Tokyo ghost_planche_rosebul

 

Tokyo Ghost constitue donc une fiction d’anticipation au scénario riche, ultra-réaliste, et qui fourmille de détails qui effraient autant qu’ils nous interrogent sur l’évolution de notre société.

En complément des thèmes favoris des auteurs (la paupérisation des esprits provoquée par la nouvelle civilisation de l’Entertainment, les inégalités sociales et leur corollaire de violence, le risque écologique), les deux auteurs ajoutent une intrigue amoureuse dont l’issue semble incertaine.

La galerie de personnages proposés par Rick Remender et illustrés par Sean Murphy est fascinante. Qu’il s’agisse du duo Led / Debby – variante de la Belle et la Bête – qui tente de trouver une porte de sortie pour s’extraire de cet univers pervers et sauver leur amour, de Davey Trauma – avatar technologique du fameux Joker de Batman – ou des habitants du jardin paradisiaque de Tokyo, chaque personnage est pensé et illustré de manière habile et cohérente.

Bref, une fois encore, Sean Murphy nous entraine dans ses fantasmes et ses angoisses, sur les pas de personnages cherchant la rédemption. C’est intelligent dans le sens où cela suscite la réflexion, c’est visuellement dense, c’est rythmé avec un feu d’artifice de personnages déjantés. Bref, un coup de poing visuel doté d’une réflexion puissante sur notre société.

Ouvrir un album de Sean Murphy revient à plonger dans la fosse d’une piscine à 25° depuis un plongeoir de trois mètres. A la montée d’adrénaline préalable succède le choc brutal de l’entrée dans l’eau : baisse de température corporelle, sensation d’oppression. Passée cette première phase de stupéfaction vient le manque d’air : il faut remonter à la surface pour remplir ses poumons d’air. Ensuite, seulement, vient le plaisir de la nage entre deux eaux. A partir de là, difficile d’en sortir.

Offrez-vous ce petit bijou de bande dessinée et si vous en avez la possibilité, optez pour la version noir et blanc. Editée à 2000 exemplaires, il en reste peut-être chez votre libraire.

Allez, bonne lecture.

Tokyo ghost_cover_rosebul

Scénario : Rick Remender

Dessin : Sean Murphy

Année : 2016

Editeur : Urban Indies

Chroniqueur : Arnaud

 

 

 

 

 

Tokyo ghost_couverture bis_rosebul

Leave a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.