Dessin : Régis Loisel
Année : 2010
Synopsis :
Londres – Hiver 1887. Peter a 13 ans et il tente de survivre dans le froid et la misère des bas quartiers de Londres. Pour distraire ses copains de l’orphelinat et atténuer leur quotidien difficile, Peter leur répète les récits fantastiques que Mister Kendal lui enseigne. Il leur conte aussi la chaleur d’une mère, la douceur d’un câlin, le plaisir d’un baiser. Mais pour Peter, la réalité est tout autre. Abandonné par un père qu’il n’a jamais connu, il vit dénuée d’amour maternel aux côtés d’une mère alcoolique et violente.
Heureusement, il y a Mister Kendal, un vieux monsieur qui prend soin de lui, le nourrissant et l’éduquant. Mais Mister Kendal le met aussi en garde : prend garde au « Grand Gourmand » : le Temps qui tue les rêves et rend les hommes mauvais. Ne vieillis pas Peter, lui répète-t-il sans cesse.
Mais ces attentions suscitent la jalousie et la violence des adultes. Qu’il s’agisse des clients de la taverne de Mister Kendal ou de sa propre mère. Un soir, cette dernière le chasse après l’avoir battu une nouvelle fois.
C’est alors que son chemin va croiser celui de la fée Clochette, personnage mystérieux, tantôt attentionnée, tantôt cruelle, à la jalousie sans bornes, qui va lui donner le don de voler et l’entraîner à sa suite au Pays Imaginaire.
Pendant ce temps, le féroce Capitaine Crochet a décidé de mettre la main sur le trésor du Pays Imaginaire et s’emploie à terroriser son équipage.
Le décor est planté, les personnages sont en place. L’extraordinaire histoire de Peter Pan peut commencer.
Avis :
« Non Peter, n’y va pas. Cours, fuis, Peter. Ne retourne pas chez ta mère …».
Combien de fois ai-je murmuré ces paroles, retrouvant ce faisant les réflexes d’un enfant lisant un livre en cachette, sous ses couvertures, et vibrant aux aventures d’un Jim Hawkins embarqué sur l’Hispaniola et voguant vers l’Ile aux trésors.
Combien de fois, en lisant Londres, ai-je exhorté Peter à fuir cette Angleterre misérable et violente. Peter Pan évoque en moi la nostalgie des lectures d’enfance.
En 1990, Vent d’Ouest édite Londres le premier tome du Peter Pan de Régis Loisel, libre adaptation de l’histoire du personnage éponyme créé par James Matthew Barry en 1904.
L’histoire originale de JM. Barry est connue, elle narre les aventures d’un jeune garçon ayant refusé de grandir et qui vit dans un pays imaginaire au sein d’une troupe de garçons perdus (« jadis tombés de leur landau (…) et qui atterrissent dans ce lieu reculé s’ils ne sont pas réclamés au bout de sept jours (…) »).
Cette île merveilleuse, au sein de laquelle la notion de temps qui s’écoule est ambiguë, est peuplée de fées, de sirènes, de bêtes sauvages, d’indiens et bien sûr d’une bande de pirates sanguinaires ayant à leur tête le cruel capitaine Crochet.
D’emblée, Régis Loisel prend le parti de positionner son intrigue en amont du récit classique. Quand débute le premier tome, Peter est encore un enfant londonien qui ignore tout du monde imaginaire. A la fin du sixième tome, le récit initial de JM. Barry peut commencer.
En outre, Régis Loisel décide de nous entraîner sur le versant sombre du personnage. Peter n’est pas seulement un enfant vivant dans les bas-fonds de Londres, confronté à la misère, à l’alcoolisme et à la prostitution, mais il porte cette violence en lui. Il l’incarne et elle s’exprimera au fil du récit, vis-à-vis des autres et vis-à-vis de lui-même.
Cette violence caractérise aussi les enfants du pays imaginaire. Au fur et à mesure du récit, les enfants, parfois entrainés par les créatures fantastiques, laisseront s’exprimer leurs frustrations et leurs penchants agressifs, comme si les barrières entre le monde réel et le monde imaginaire tendaient à s’amenuiser avec le temps. Heureusement, il reste l’oubli, l’amnésie qui permet de panser les plaies et de nier certaines réalités.
Le Peter Pan de Loisel évolue dans un monde plus proche de celui de Dickens que de celui de Disney. En cela, Régis Loisel est fidèle à l’esprit d’origine de l’œuvre de JM. Barry pour lequel les enfants du pays imaginaire n’hésitaient pas à tuer leurs congénères si ceux-ci devenaient trop grands.
En l’espace de six tomes, Loisel nous entraîne dans un univers fantastique, onirique, peuplé de créatures mythiques, et dans lequel il n’hésite pas à introduire des mythes contemporains tel que Jack l’éventreur.
Savant mélange de magie et de beauté mais également de souffrance et de cruauté, Le Peter Pan de Loisel est une œuvre magnifique, très créative, servie par une intrigue au cordeau et un dessin généreux et haut en couleur.
On retrouve dans Londres tout le talent de dessinateur et de conteur de de Régis Loisel qui est l’auteur de l’extraordinaire (…) Quête de l’oiseau du temps (1984 /1987 pour le premier cycle) ou plus récemment de la série Magasin Général.
A vous de juger, laissez-vous entrainer dans le sillage de Peter au travers de ce premier opus qui fut récompensé par le prix du public à Angoulême en 1992 et peut-être aurez-vous envie de faire un plus long chemin ensemble.
Mais prenez garde, c’est un chef d’œuvre, vous pourriez aimer.
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