Equatoria

Quatorzième opus des aventures Corto Maltese, Equatoria marque le second album signé par le nouveau duo d’auteurs. Retour en Afrique pour le gentilhomme de bonne fortune en quête d’une relique légendaire.

Synopsis

De retour à Venise, et tandis qu’ils assistent, amusés, au galop d’une girafe sur la place Saint Marc, Corto Maltese invite son amie la journaliste Aida Treat à l’accompagner dans la quête d’une relique du douzième siècle, répondant au doux patronyme de « miroir magique ». Il s’agirait d’un objet qui permettait à un monarque aux richesses légendaires « d’observer n’importe quelle partie de son royaume ».

Ayant retrouvé la trace de la dépouille de ce souverain – un roi de Mongolie converti au christianisme et répondant au nom de Toghril – Corto Maltese a découvert que ce miroir aurait successivement été offert au pape Innocent IV puis aux Chevaliers de l’Ordre de Malte, en remerciement de leur défense héroïque des Lieux Saint en 1565. Corto est donc décidé à cheminer vers son île natale pour tenter de retrouver ce trésor.

Souhaitant en profiter pour écrire une série d’articles pour le National Geographic, Aida Treat accepte de l’accompagner et les deux aventuriers embarquent bientôt en direction de l’île de Malte. Mais rapidement, leur destination change.

Avis

Dans l’imaginaire collectif, Corto Maltese est indissociable de Venise. Le personnage créé par Hugo Pratt reste cette silhouette éternelle, élégante et mystérieuse qui déambule, à la nuit tombée, dans les ruelles étroites de la cité des Doges. Cette association est probablement due au fait que le mythe de Corto Maltese et la légende de son auteur ont fini par se confondre. Hugo Pratt a grandi à Venise, et par essence, nous associons éternellement son personnage à ce lieu.

Dès lors, à l’entame de ce quatorzième opus officiel, retrouver le marin romantique sur la place Saint Marc permet d’inscrire cette suite dans une mythologie maintes fois renouvelée. Venise reste son port d’attache, la source de ses pérégrinations, et une nouvelle fois, c’est en interrogeant les textes anciens au sein d’un antique monastère arménien que Corto se lance sur les traces d’un nouveau trésor, d’une nouvelle chimère.

J’aime ce personnage pour de multiples raisons ayant notamment trait à son caractère, mais aussi, parce qu’au-delà des époques, nous pouvons suivre son parcours pas à pas et visiter les lieux de ses faits d’armes. Nous pouvons, à l’occasion de déambulations, fantasmer que nous devenons le célèbre gentilhomme de bonne fortune.

Dans le cas présent, Corto va successivement visiter Venise, Alexandrie et Zanzibar, destinations exotiques et fantasmées, mais destinations réelles et suffisamment documentées pour que nous puissions rêver de cheminer à ses côtés. Le monastère arménien de l’île de San Lazarro Degli Armeni se dresse toujours sur un îlot dans la lagune et la nécropole de Kom-El-Choukafa se visite toujours à Alexandrie. De là à imaginer que les ruines des cités antiques du peuple de Mù nous attendent toujours au large du continent sud-américain, il n’y a qu’un pas que je me plais à franchir quand je ferme les yeux.

Corto Maltese est une madeleine de Proust pour les grands enfants ayant rêvé de ces contrées lointaines dans leurs jeunes années.

Par ailleurs, les errances de Corto Maltese nous permettent de côtoyer des personnages qui ont réellement existé au début du siècle dernier. Une nouvelle fois, l’intégration de personnages réels dans le récit de fiction accentue le pouvoir de projection. Dans le présent album, le personnage d’Aida Treat fait référence à une célèbre aventurière américaine (Ida Treat) ayant parcouru le monde oriental et ayant signé d’authentiques articles pour le National Geographic. Henry de Monfreid reste ce contrebandier mythique, ayant sillonné la méditerranée. Enfin, les propos tenus par le personnage de Winston Churchill reprennent de vraies citations de l’homme politique anglais.

Enfin, Corto Maltese est un personnage romantique, un personnage de légende à l’image du Ulysse d’Homère. C’est aussi un aventurier en quête de trésors mythiques. Qui n’a rêvé de se lancer sur la trace du Saint Graal ou en quête des trésors des civilisations précolombiennes.

Mais c’est aussi un personnage qui recèle de multiples failles, des zones d’ombres. Un être cynique, bagarreur, qui peut être violent. Un personnage peu doué pour le bonheur.

Davantage que le but, Corto se complaît dans la quête. Il n’aime rien tant que l’aventure, peut lui importe finalement d’arriver à ses fins et de trouver ces joyaux qu’il recherche. C’est un contemplatif en mouvement et ses aventures sentimentales sont à l’image de cette quête d’absolu. Corto aime le sentiment d’aimer mais il ne recherche pas une compagne. Quand le bonheur frappe à sa porte, quand une femme lui ouvre ses bras, il renonce, il finit par fuir. Il n’aime rien tant que la quête, la conquête.

Je pourrais vous parler des dessins, superbes, des textes, ciselés, de l’humour subtil et du rythme de la narration. Certaines vignettes m’ont touché par leur simplicité et leur esthétisme remarquable.  Mais l’essentiel est ailleurs. La réussite réside dans cette impression de continuité, dans ce plaisir renouvelé. Le duo d’auteurs a réussi son pari: redonner vie à un mythe, et ce n’est pas la moindre des réussites. Merci.

Scénario : Juan Diaz Canales

Dessin : Ruben Pellejero

Année : 2017

Date de sortie: Octobre 2017

Editeur : Casterman

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