Œuvre d’anticipation publiée entre 1957 et 1959, L’Eternaute figure au Panthéon des grands récits de science-fiction. Cependant il reste passablement méconnu en France. Il est grand temps de réparer cette injustice.
Synopsis
Alors qu’il travaille au cœur de la nuit, un scénariste de bandes-dessinées voit soudainement se matérialiser face à lui un homme d’âge incertain qui apparaît de l’autre côté de son bureau.
Passé le premier moment de stupeur, le visiteur se présente comme un voyageur spatio-temporel connu sous le nom d’Eternaute. Visiblement soulagé de retrouver une époque familière et de rencontrer un homme susceptible de l’écouter, l’Eternaute entame le récit de ses étranges aventures.
Tout commença un soir d’hiver, dans les années 50, dans une banlieue modeste de Buenos-Aires tandis que quatre amis sont réunis au domicile de l’un d’entre eux pour leur partie de cartes hebdomadaire. Alors que les protagonistes sont plongés dans leur jeu, ils sont alertés par des bruits venant du dehors, suivis d’un grand silence.
Par la vitre close, ils découvrent avec stupeur le chaos qui règne dehors : ça et là des corps gisent sur le sol, comme frappés soudainement par la mort dans leurs activités du quotidien. Livrés à eux-mêmes, les quelques véhicules qui circulaient ont quitté la route ou se sont figés au milieu de la chaussée. Et partout, un silence effrayant et une neige translucide qui tombe à gros flocons. Rapidement les hommes comprennent qu’ils doivent leur survie au fait que leurs fenêtres étaient hermétiquement closes. Cependant, pris de panique à l’idée que sa famille, restée seule à son domicile, n’est pas consciente du danger, l’un des hommes se rue dehors pour tenter de regagner sa maison. Il n’a que le temps de faire quelques pas avant de s’effondrer de tout son long sur la chaussée.
Ainsi commence le récit de l’Eternaute.
Avis
Un récit majeur de la science-fiction
Régulièrement, mes déambulations de bibliophile me ramènent en Argentine, sur les pas de l’Eternaute. Œuvre d’anticipation publiée entre 1957 et 1959, cet ouvrage figure au Panthéon des grands récits de science-fiction, et cependant il reste passablement méconnu en France. Il est grand temps de réparer cette injustice.
Sur la couverture, faisant face au lecteur, un homme d’âge mûr, au regard sévère et déterminé se détache au premier plan, dans un décor de fin du monde. Derrière lui, des carcasses automobiles sont visibles tandis qu’une neige phosphorescente semble tomber à gros flocons. L’homme porte une combinaison qui lui recouvre entièrement le corps et seul le haut de son visage est visible au travers d’un masque de plongée rudimentaire.
Déclinaison sud-américaine de La Guerre des Mondes de HG Wells, l’Eternaute est un récit qui a connu de nombreuses vies, de successives réécritures, de différentes illustrations. Grâce à l’éditeur Vertige Graphic, il est désormais possible de découvrir la version originale de cette œuvre d’anticipation au long cours qui préfigure l’une des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine argentine.
Argentine, 1957
Quelques éléments de contexte s’imposent: l’Argentine possède une longue tradition de bande dessinée qui a débuté avec le 20ème siècle et qui a pris un essor majeur au sortir de la seconde guerre mondiale. Grâce à l’existence de revues spécialisées disponibles dès le début des années 50 comme Frontera ou Mysterix et grâce à la création dès 1956 d’une école reconnue: L’Escuela Panamericana del Arte, l’Argentine a permis l’émergence de nombreux auteurs talentueux comme José Munoz, Walter Fahrer ou Carlos Sampayo. Ces derniers ont bénéficié d’un terreau fertile et de l’enseignement de maîtres du genre comme Hugo Pratt ou d’Alberto Breccia.
Aux origines de ce mouvement figure un scénariste talentueux, Hector Oesterheld (1917-1977).
Oesterheld écrit ses premiers scénarios dès le début des années 50 et, rapidement il va collaborer avec de futurs très grands dessinateurs, au premier rang desquels figurent Hugo Pratt et Alberto Breccia. Pour Pratt, il créé les personnages d’Ernie Pike et du Sergent Kirk. Pour Breccia, c’est Mort Cinder et Sherlock Time. Par certains égards, Oesterheld fut à l’Argentine ce qu’un Jijé, un Pierre Christin ou un Greg furent à la bande dessinée européenne, plus que de simples scénaristes, des passeurs d’histoires.
En 1957, il créé El Eternauta dont il confie le dessin à Solano Lopez. Cette série parait initialement dans la revue Hora Cero à partir de 1958 et elle va être publiée de manière ininterrompue pendant plus de deux ans. Il en résulte une œuvre feuilletonesque, dense, de plus de 350 pages, qui est restée longtemps introuvable dans sa version originale. Le mérite de sa publication en revient à l’éditeur Vertige Graphic qui a réuni ce fabuleux récit en trois tomes, à partir des planches d’origine et de quelques pages scannées, issues des publications de l’époque.
Paradoxalement, El Eternauta s’est initialement exporté par l’intermédiaire de sa version publiée en 1968, avec Alberto Breccia aux pinceaux, dans un format narratif plus condensé et plus intense. Là où Breccia nous offre des envolées graphiques de grande poésie, l’œuvre initiale se caractérise par un graphisme très académique, plus austère, mais qui confère toute sa force brute et tragique au premier récit.
Dans cette parabole, la menace prend initialement l’apparence de flocons de neige qui tuent instantanément toute forme de vie animale ou humaine avec lesquelles ils entrent en contact. Au fur et à mesure du récit, la menace va prendre des formes différentes. Tantôt représentée par les autres survivants, par des insectes géants, par des émanations de gaz et enfin par des êtres venus d’ailleurs, la menace est diffuse, oppressante et déstabilisante pour les survivants qui tentent tant bien que mal de faire face à cette menace extérieure.
Tour à tour oppressant, héroïque, désespéré, ce récit est très intense. L’action ne faiblit jamais et cependant, elle laisse une grande place à la réflexion. Le destin de ces survivants suscite immédiatement de l’empathie. Ni surhomme, ni justicier, les protagonistes sont des quidams, certes ingénieux et courageux, mais finalement terriblement humains. Ils éprouvent les mêmes sentiments de stupeur et d’horreur que nous pourrions ressentir face à de tels événements. Le destin de la famille du héros principal confère une dimension intime à ce récit. Comment survivre à la séparation, comment protéger les siens, tant de questions auxquels nous serions nous-même confrontés.
Difficile enfin de ne pas appréhender ce récit comme une prémonition terrible des évènements tragiques qui bouleverseront l’Argentine vingt ans plus tard avec l’avènement de la dictature militaire dont l’auteur lui-même sera la victime. Engagé politiquement, Hector Oesterheld disparaitra en 1977 avec ses quatre filles sans que l’on ne retrouve jamais leurs corps.
Un très grand récit de science-fiction que je vous encourage vivement à découvrir. Bonne lecture.
Dessin: Francisco Solano Lopez
Année: 2008
Éditeur: Vertige Graphic
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