Avec Stupor Mundi, Nejib nous entraîne sur les traces des grands savants de la fin du Moyen-Age. Inspirée par Umberto Eco, une fiction érudite à l’encontre du dogmatisme. Un énorme coup de coeur.
Synopsis:
A la fin du moyen-âge, accoste sur le rivage des Pouilles un navire qui transporte le savant Hannibal Qassim-El-Battouti, sa fille Houdê et leur esclave masqué El Ghoul. Tous trois fuient Bagdad et ont trouvé refuge au sein d’une forteresse mystérieuse qui abrite les plus éminents érudits de l’époque.
Dans ce lieu en retrait du monde, Hannibal espère trouver un sanctuaire pour achever sa prodigieuse et secrète invention, intitulée Beît-el-Dhaw.
Il progresse rapidement, grâce à l’aide de l’intendant du château qui lui érige un bâtiment dédié, et au support de sa fille qui, grâce à sa mémoire photographique, l’aide à reconstituer des formules perdues.
Mais le temps presse car son hôte et mécène, l’Empereur érudit que l’on surnomme la Stupeur du Monde, ne va pas tarder à rentrer de campagne militaire et Hannibal sait qu’il lui faudra impérativement lui présenter le fruit de ses recherches.
Toutefois, même en ce lieu protégé, l’obscurantisme n’est pas loin et, tapis dans l’ombre, des forces contraires sont à l’œuvre pour essayer d’empêcher la réalisation de ce prodige.
En outre, Hannibal est pressé de questions par sa fille qui a perdu le souvenir des conditions de leur fuite de Bagdad et qui voudrait connaître les raisons du décès brutal de sa mère. N’obtenant pas de réponse auprès de son père, elle décide de se tourner vers Maître Sigismond, un savant chrétien qui vit en marge du château. Peu à peu, les souvenirs lui reviennent.
Avis:
Au treizième siècle, vécut en Italie un empereur avant-gardiste nommé Frédéric de Hohenstaufen qui régna sur le Saint-Empire de 1220 à 1250 sous le nom de Frédéric II. Polyglotte – il ne maitrisait pas moins de six langues – érudit – il fut initié à l’astronomie, à la philosophie et à la physique – il ne s’illustra pas uniquement en tant que chef de guerre mais il s’intéressa aussi à la culture arabe.
Ses talents lui permirent de mener à bien la seule croisade pacifiste et de reconquérir les lieux saints de la papauté. Il tenta dès lors de concilier les deux communautés afin d’instaurer une paix durable. Toutefois, étant rappelé en occident pour régler un conflit intérieur, il ne parvint pas à mener à terme cette entreprise et fut même l’objet de deux bulles papales en raison de pratiques et d’idées non-conformes au dogme chrétien.
Connaisseur des Arts, cet Empereur fut également un promoteur des sciences et attira à sa cour de nombreux savants, chrétiens et musulmans. C’est ainsi qu’il côtoya aussi bien Leonardo Fibonacci que le théologien Ibn Sabin.
Au dixième siècle vécut à Bassora en Irak un mathématicien et physicien arabe du nom de Ibn-Haytham (ou Alhazen) qui s’illustra notamment par ses travaux dans le domaine de l’optique. Ce savant inventa le principe de la chambre noire et fut l’auteur d’un traité fondateur.
Fasciné par le principe de la Camera Obscura (instrument d’optique qui permet d’obtenir une projection de la lumière sur une surface plane proche de la vision humaine), Nejib construit une fiction érudite qui imagine la rencontre entre cet Empereur et un descendant imaginaire du savant Alhazen.
En guise de piment, à la façon d’Umberto Eco dans Le Nom de la Rose (dont les références sont multiples tout au long de l’album), l’auteur saupoudre ce récit très érudit d’une intrigue policière qui se déroule sous forme d’un huis-clos au sein d’une forteresse médiévale.
Le résultat est un album extrêmement plaisant, servi par un dessin direct qui privilégie le déroulement du récit, qui se lit d’une traite.
Cette bande dessinée a été logiquement plébiscitée par la critique à sa sortie. Nominé pour de nombreux prix, Stupor Mundi a déjà été récompensé à l’occasion du Festival Quai des Bulles 2016 à Saint-Malo, dans la catégorie Révélation.
Dans le contexte actuel de résurgence des dogmes, cet album apporte une bouffée d’air frais et met en avant des acteurs méconnus de l’Histoire ayant lutté contre l’obscurantisme.
Un album marquant de cette année 2016 qui mérite de figurer dans de nombreuses listes et qui ne dépareillerait pas sous le sapin si vous cherchez des idées de cadeaux pour ces fêtes de fin d’année.
Érudition, suspens, qualité graphique, un énorme coup de cœur 2016.
Dessin : Nejib
Année : 2016
Editeur : Gallimard
Chroniqueur : Arnaud
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