Dessin : François Boucq
Année : 1990
Editeur : Casterman
Synopsis :
En Ukraine, à la fin de la seconde guerre mondiale, un jeune garçon est recueilli et est baptisé Youri par une pauvre paysanne alors qu’il erre affamé dans la campagne russe. La femme est marié à un homme cruel dont les sept enfants ont surnommé le nouveau venu «Bouche du Diable» en raison du bec de lièvre qui lui déforme le visage.
Un soir, tandis que l’homme s’emporte violemment contre l’enfant, la vieille femme s’interpose et reçoit à sa place la coup de couteau mortel qui lui était destiné. Dans un sursaut salutaire, le jeune garçon parvient à échapper à la fureur de l’homme et à s’enfuir en ayant au préalable jeté au visage de lampe une lampe à huile et un tison. Recueilli par un convoi militaire, le garçon est confié à un orphelinat au sein duquel il est de nouveau le souffre-douleur de ses camarades en raison de sa difformité jusqu’à ce qu’il soit repéré et enrôlé par le camarade colonel Stravogrine du NKVD.
Pendant de longues années le jeune Youri va vivre reclus dans un ancien monastère sur les bords de la mer rouge, vêtu en permanence d’un uniforme militaire et d’un masque de cuir, recevant un enseignement spécifique dans l’optique d’être envoyé aux USA en tant qu’agent dormant pour le compte du régime.
Cependant, le jeune Youri possède d’étranges dons de prémonition et fait preuve d’une curiosité aiguë qui l’amène souvent à s’interroger sur le sens de l’embrigadement reçu.
Une fois son enseignement terminé et sa difformité soignée, Youri est envoyé à New-York où il se trouve un emploi de manœuvre dans la construction. Bientôt il est sollicité par le NKVD pour ses premières missions. Mais tout ne va pas se dérouler comme prévu.
Avis :
Bouche du Diable commence comme un conte pour enfants – un orphelin est recueilli par une brave femme vivant au fond d’une forêt dont on s’aperçoit rapidement qu’elle est l’épouse d’un ogre – se poursuit comme un thriller – le jeune homme est éduqué et entrainé par les services secrets russes pour devenir un agent dormant basé en Amérique – avant de verser dans le conte fantastique – il apparait que ce jeune homme dispose de dons prémonitoires.
Malgré le relatif mélange des genres et une dimension fantastique qui peut déstabiliser dans un récit à la base très réaliste, cet album procure un très grand plaisir de lecture en raison de la qualité du scénario de Charyn – qui prend plaisir à transposer la seconde partie de son intrigue à New-York où il s’est lui-même établi – sublimé par le dessin de Boucq.
L’idée de base du récit repose sur une idée simple mais extrêmement visuelle : un jeune homme doté d’un handicap physique tel qu’il focalise toute l’attention est choisi pour devenir un individu qui a vocation – une fois sa formation terminée – à devenir totalement invisible, à se fondre dans la foule.
Outre la richesse du scénario, la mise en image de Boucq est proprement fantastique. Qu’il s’agisse des décors (depuis le monastère dans lequel Youri est éduqué, jusqu’aux rues de New-York) ou des personnages, les illustrations sont saisissantes de puissance et de réalisme. En outre, j’éprouve en outre une réelle fascination pour cette couverture que je trouve unique. La difformité de Youri mise en relief par le port du masque en cuir couplé au regard froid et déterminé des futurs espions m’a marqué bien avant que je ne lise cet album.
Cet album marque la seconde collaboration entre le scénariste Jérôme Charyn et le dessinateur François Boucq après la Femme du Magicien publié en 1996 pour lequel ils avaient reçu le prix du meilleur album à Angoulême. Les deux compères se retrouveront 14 ans plus tard pour collaborer sur le magnifique Little Tulip.
Bouche du Diable figure parmi mes dix albums préférés, pour le dessin et pour l’intrigue. Une énorme réussite.
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