Dessin : Rochette & Legrand
Synopsis :
Ce train, c’est le Transperceneige qui emporte à son bord ce qu’il semble rester d’une humanité décimée. A son bord, une société militarisée s’est instaurée, compartimentant les communautés en fonction de critères prédéterminés. Tandis que les « élus », qui avaient été choisis par une instance inconnue, occupent les voitures de tête, la majeure partie des occupants vivent dans les voitures centrales tandis que quelques survivants qui ont réussi à échapper par miracle à l’holocauste s’entassent dans la queue du train dans des wagons insalubres.
Un matin, un individu nommé Proloff parvient à franchir le cordon militaire séparant les occupants des wagons de queue du reste du train. Capturé, battu, rasé, Proloff parvient à faire la connaissance d’une jeune femme prénommée Adeline qui fait partie d’un groupuscule réclamant l’égalité des droits entre les occupants du train. A la demande des autorités, ils vont être conduits sous bonne escorte vers les voitures de tête afin que Proloff puisse témoigner devant la caste dirigeante des conditions de vie dans les wagons de queue. Chemin faisant, ils découvrent peu à peu la réalité de la vie à bord du Transperceneige.
Avis :
Le Transperceneige est une œuvre inclassable. Récit d’anticipation, fable sociologique, c’est un peu tout à la fois.
Peu d’albums de bandes dessinées possèdent en outre à ce point leur propre mythologie. A l’origine, l’histoire fut écrite par Jacques Lob pour Alexis (de son vrai nom Dominique Vallet) un illustrateur qui officiait au sein de l’équipe de Pilote dans les années 80. Alexis en réalisa 16 pages avant de décéder à l’âge de 31 ans. 12 planches subsistent et furent publiées dans le numéro 38 des Cahiers de la Bande Dessinée. Désormais introuvables, ces planches présentaient la particularité de narrer la vie dans les wagons de queue, épisode qui sera volontairement occulté dans les récits suivants.
Repris par Jean-Marc Rochette, le premier tome sera finalement réalisé et publié sous forme de feuilleton dans la revue A Suivre d’octobre 1982 à mai 1984 avant d’être édité sous forme d’album en 1984 par Casterman. Après le décès de Lob en 1990, deux autres récits scénarisés par Jacques Legrand seront dessinés par Jean-Marc Rochette pour être publiés en 1999 et 2000 respectivement sous les titres L’Arpenteur et La traversée. Cette histoire a enfin accédé à un public plus large via une adaptation au cinéma en 2013. N’ayant pas vu le film, je ne suis pas en mesure de vous dire si il est resté fidèle au récit initial.
Récit d’anticipation. Cette œuvre raconte l’histoire d’un groupe d’individus ayant échappé à un holocauste et qui doit survivre à bord d’un train qui erre inlassablement dans une obscurité totale, sans perspective d’échappatoire.
On ignore la genèse de cette situation, probablement un conflit nucléaire qui a déréglé le climat ou point de rendre l’air irrespirable. La température extérieure (-87°C) ne leur permettant pas de survivre hors du train, les derniers hommes doivent leur survie éphémère au bon fonctionnement de la motrice qui, outre sa fonction de déplacement, leur permet de survivre en créant de la chaleur et de l’électricité.
Tous les occupants ne sont pas logés à la même enseigne et les conditions de vie diffèrent en fonction de leur statut social. C’est valable pour la nourriture comme pour les conditions de vie (espace vitale, autorisation de se reproduire, accès aux divertissements). Dès lors, un condensé de nature humaine se recréé avec sa cohorte de règles, de croyances, de recherche d’échappatoires et même de mythologie. Les passages concernant l’émergence d’une nouvelle religion dédiée à « La Sainte-Loco », sorte d’entité suprême qui tiendrait le sort des Hommes entre ses mains, sont à ce titre particulièrement édifiants.
Récit sociologique. La lâcheté de l’âme humaine, la volonté de puissance, la défense des éventuels intérêts minoritaires reprend vite le dessus. Dans ce système en manque de repères et de perspectives de salut, les auteurs prônent la transgression qui permet de s’élever. D’une certaine manière ils nous rappellent qu’il faut se méfier de ceux qui n’ont rien à perdre car ils peuvent changer la donne établie. C’est ainsi que de nouveaux héros vont émerger. Qu’il s’agisse de Proloff (nom pré-destiné) dans le premier récit ou de Puig Vallès dans les deux tomes suivants, ces deux personnages qui émanent des castes dominés vont bouleverser la donne et accéder à un nouveau rang social.
La puissance du huis-clos, la noirceur du récit et des illustrations ajoutent à l’atmosphère pesante, angoissante de l’histoire.
On songe à de nombreuses autres œuvres. Qu’il s’agisse des récits de La Compagnie des Glaces, roman de science-fiction de JG. Arnaud dans lequel les dernières cités humaines sont reliées entre elles par des lignes de chemin de fer dont les dirigeants ont acquis un pouvoir démesuré. On songe également aux Sous-sols du Révolu de MA. Matthieu dans lequel les survivants d’une ère postglaciaire inspectent les vestiges d’un grand musée pour comprendre les civilisations qui les ont précédés.
Au final, les auteurs nous proposent un formidable récit, très créatif, sur la noirceur de l’âme humaine. N’hésitez pas à vous plonger dans cet ouvrage d’autant plus qu’une nouvelle suite est annoncée pour cette année. Bonne lecture.
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