Dessin : Rodguen
Année : 2013
Synopsis :
Vincent, trentenaire, a décidé de braquer un fourgon de transport de fonds depuis qu’il croise tous les matins Bernard, un convoyeur usé qui prend son café au bar du coin avant de prendre son service.
Vincent a besoin de cet argent pour rejoindre Rana, une superbe métis rencontrée au Sénégal et qui lui a donné un fils qu’il n’a jamais vu parce qu’il s’est enfuit avant la naissance de l’enfant. Depuis, Vincent lui promet de venir la rejoindre et de vivre à ses côtés dès qu’il aura gagné suffisamment d’argent. Mais les mois passent et l’enfant grandit.
Vincent a décidé de s’associer avec Gaby, un cinquantenaire, chômeur de longue durée, glandeur, inculte et sans-gêne qui présente la qualité rare d’avoir une veine à toute épreuve.
Pour réaliser leur casse en douceur, les deux comparses ont décidé de kidnapper le fils de Bernard afin de l’échanger contre le contenu du camion avant de mettre les voiles vers l’Afrique.
Les préparatifs semblent se dérouler comme prévu quand, la veille du braquage, un grain de sable vient dérégler cette belle mécanique: une altercation intervient entre le père et son fils. Les deux complices vont devoir improviser.
Avis :
Sur les conseils des vendeurs du rayon BD de chez Gibert (merci pour la recommandation), j’ai découvert Ma révérence de Lupano et Rodguen chez Delcourt. Mea culpa, cet album, je n’aurais pas dû passer à côté. Primo parce qu’un album qui a coiffé le Tyler Cross de Nury et Brunö dans la catégorie Polar à Angoulême cette année, j’aurais dû être plus attentif. Deusio, parce que Lupano n’est pas un inconnu, on lui doit notamment le superbe Singe de Hartpool, prix des libraires de BD en 2012, avec Wilfried au dessin.
Ma révérence narre le destin de deux loosers qui décident un beau jour de braquer un fourgon de transport de fonds pour partir refaire leur vie au soleil. Au-delà de cette idée de base, au fur et à mesure de la préparation du casse, on découvre les fêlures inhérentes à chacun de ces cabossés de la vie et on s’attache peu à peu à ces êtres ballotés.
Tout d’abord, il y a Vincent, la trentaine, adepte de la procrastination, élevé dans le cocon sordide d’un racisme ordinaire trouvant ses racines dans l’histoire familiale, qui enchaine les petits boulots au sortir d’une cure de désintoxication et qui ne se reconnait pas dans cette société française dont les élites politiques glissent lentement mais surement vers un populisme d’extrême droite. Ensuite, il y a Gaby Rocket, son binôme, chômeur de longue durée dont l’horloge psychologique interne s’est figée sur la case Johnny Halliday période santiags et perfecto.
Deux êtres cassés, en marge, que le hasard de la vie a mis sur le chemin de Bernard, un convoyeur de fonds usé, à quelques semaines de la retraite, qui est en froid avec son fils avec lequel il ne parvient pas à communiquer.
En ce qui concerne l’histoire, vous vous en doutez, rien ne se passera comme prévu et le braquage en douceur tel que se l’imaginent nos deux apprentis gangsters naïfs va tourner court. On ne s’improvise pas kidnappeurs.
Mais au-delà de l’intrigue qui est particulièrement réussie – en évitant la mièvrerie et la violence à outrance, les auteurs trouvent un chemin subtil pour poursuivre leur narration – les thèmes abordés sont intéressants. Lupano nous offre un joli album sur les lâchetés du quotidien, sur tous ces petits combats que l’on perd faute de s’être battu ou d’avoir pris son destin en mains. Son personnage néo-adulte de Vincent est très contemporain, il décrit une réalité à laquelle sont confrontés de nombreux jeunes adultes, coincés entre une société qui ne leur facilite pas toujours l’entrée dans le monde du travail et une obligation de réussite qui les entrave dans leur accomplissement.
Un personnage tout en subtilité, un gentil rêveur qui se complait parfois dans une victimation confortable (c’est pas de ma faute, c’est mes parents, c’est la société…) et qui va devoir prendre son destin en mains, même si c’est de manière un peu maladroite.
Vincent me fait beaucoup penser au Michael de Nous ne serons jamais des héros (voir une chronique précédente). Même glande initiale, même difficulté à assumer ses propres responsabilités, mêmes relations difficiles avec ses parents.
Et que dire de ce Gaby, beauf ultime, glandeur, gaffeur, qui va se retrouver au cœur du dénouement et révéler de belles qualités humaines.
Bref, un bel album dense, difficile à résumer en quelques lignes, tendre, drôle, joliment écrit et très bien dessiné et mis en page. A lire de toute urgence.
A noter que la bibliographie de Lupano s’enrichit ces jours-ci d’un album intitulé Les vieux fourneaux chez Dargaud, avec Cauuet au dessin. Une comédie sociale qui met en scène trois septuagénaires et qui semble être très bien reçue tant par le public que par les critiques. A découvrir.
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