Dessin : Gibrat
Année : 1999
Synopsis :
Cambayrac, Juin 1943. Tandis qu’il est réquisitionné pour partir effectuer un Service de Travail Obligatoire en Allemagne, Julien, un jeune aveyronnais cabochard, saute du train qui devait le conduire à Paris. Déserteur de fait, de retour dans son village, il trouve refuge dans l’appartement de M. Thomassin, l’instituteur, qui a été arrêté et vraisemblablement déporté, en raison de ses penchants communistes. Grâce à l’aide de sa tante Angèle, qui le ravitaille discrètement, le voilà sain et sauf, mais prisonnier volontaire du pigeonnier qui surplombe la place du village.
Depuis ce poste d’observation stratégique, il est aux premières loges pour assister à son propre enterrement quand, suite au bombardement du train dans lequel il avait pris place, la police a retrouvé ses papiers d’identité dans les poches de l’une des victimes. Julien est officiellement déclaré mort jusqu’à la fin des hostilités.
Au fil des mois et des saisons, cloîtré derrière les volets, le jeune homme est donc condamné à observer d’un œil goguenard le petit théâtre de la France de l’Occupation, partagée entre résistance et collaboration.
Mais, surtout, il y a Cécile, la jolie serveuse du Café de la place. La belle Cécile dont Julien est amoureux et qui le croit mort. Cécile dont il guette le couché chaque soir, craignant qu’elle ne finisse par céder aux avances des quelques garçons restés au village.
Mais souvent le calme précède la tempête, et le village s’apprête à vivre des heures sombres quand un matin, apparaît sur la route du village un convoi militaire allemand en déroute.
Avis :
Récit jubilatoire, Le Sursit dresse le portrait d’un petit village français sous l’Occupation. Dans un décor de paradis perdu (un joli village perché sur les contreforts du plateau du Causse, une place ombragée avec son café et son terrain de boules, un pigeonnier, une vieille école communale), l’auteur met en situation une galerie de personnages confrontés à une situation dramatique (la Guerre puis l’Occupation) qui dure.
Dès lors, tandis qu’une majorité subit la situation sans réagir, certains personnages vont prendre des positions radicales, en fonction de leurs caractères, ou des suites d’un concours de circonstances. Ainsi quand les uns ont choisi la Collaboration, les autres s’engagent dans la Résistance et son cortège d’actions de luttes.
Volontairement, Gibrat a choisi la période de la fin du conflit, quand les masques tombent et que les différents acteurs vont tantôt recevoir la récompense de leurs actes de bravoures, tantôt devoir rendre des comptes.
Sartre affirmait que « la France ne fut jamais aussi libre que pendant ces années ». Peut-être en fut-il ainsi.
Paradoxalement l’auteur a choisi pour personnage principal un anti-héros. Jeune homme immature et égoïste, Julien se complait dans sa situation de « planqué ». Il profite de la bonté de sa tante qui l’a élevé et qui prend soin de lui, le ravitaillant et le tenant informé des nouvelles du village. Julien n’a pas suffisamment de courage pour prendre le maquis, tout juste se contente-t-il de laisser les résistants cacher des munitions dans son pigeonnier.
Finalement, seul lui importe son confort, sa tranquillité et l’amour de Cécile. La belle Cécile, qui incarne le fantasme absolu de la jeune femme prude des années quarante.
Gibrat excelle dans le dessin des jeunes femmes. C’est sa marque de fabrique. Dans ce récit en 2 tomes qui fut l’un de ses premiers one-shot après sa période Goudart en collaboration avec Berroyer, Gibrat invente le mythe de la beauté sans défauts. Cécile incarne la douceur, la beauté, la sensibilité et le don de soin. Elle est intelligente et fait preuve d’empathie. Elle ne succombe pas aux sirènes des jeunes hommes restés au village et porte d’adorables socquettes blanches et des robes à poix.
Cécile préfigure la Jeanne du Vol du corbeau (2002) et l’Amélie de Matteo (2008), autres personnages féminins de Gibrat.
Le dessin aux couleurs pastel sied à ravir à cette description d’un monde idéalisé des années quarante.
On pense à Après la Guerre de Régis Boisseau pour le côté historique et pastorale. Cette description de la France de la fin de la période de l’occupation.
Finalement, même si on peut regretter les stéréotypes trop évidents : le milicien véreux, le résistant humaniste et courageux, le clergé anti-communiste et le commerçant adepte du marché noir, on se laisse facilement prendre au jeu.
On s’attache à ce microcosme et on suit avec un grand plaisir les péripéties de ces personnages qui semblent ballottés par leur destin pour aboutir à ce final inattendu qui donne tout son sens au titre de cette histoire.
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