Dessin : Manu Larcenet
Année : 2014
Synopsis :
Polza Mancini poursuit son lent et méticuleux récit des évènements qui ont précédé sa mise en garde à vue.
Ainsi, quelques mois auparavant, tandis qu’il a entamé la troisième année de son périple, Polza a été recueilli par Roland, un homme d’une soixantaine d’années, qui le cache dans la maison isolée dans laquelle il vit avec Carole, sa fille.
Les deux hommes se sont rencontrés quelques semaines auparavant à l’hôpital psychiatrique où ils étaient tous deux internés et dont Polza s’est enfuit. Roland, lui, a été autorisé à sortir. Entre temps, la route de Polza a croisé celle d’une fratrie de marginaux ultra-violents qui lui ont infligés des sévices d’une rare violence et l’ont presque laissé pour mort.
Au creux de l’hiver, tandis qu’il poursuit sa convalescence, une étrange relation faite d’attirance et de répulsion s’instaure peu à peu entre Mancini et Carole. Même si elle ressent parfois une attirance mêlée de pitié pour ce vagabond, la jeune femme ne désire rien tant que le départ de cet intrus. Polza, quant à lui, sait qu’il est physiquement incapable de reprendre la route en plein hiver. De plus, il tombe lentement amoureux.
Peu à peu, Polza prend également conscience de la nature des troubles de Roland. C’est un voyeur, un schizophrène, un pervers sexuel en puissance, doté d’une nature éruptive. Tant qu’il prend ses médicaments, il se tient calme, abruti par les drogues. Dans le cas contraire, il est dangereux. Or, Roland a arrêté son traitement et il recommence à sortir la nuit.
L’acte final peut débuter.
Avis :
Difficile de chroniquer Pourvu que les bouddhistes se trompent. J’ai pris mon temps, je l’ai relu, je l’ai posé et je l’ai laissé infuser.
Si on jauge la qualité d’un récit au fait que sa lecture vous captive au point de vous entrainer tard dans la nuit, alors Blast est une réussite. Si on mesure la qualité graphique d’un album de BD au fait que bien après sa lecture, les illustrations continuent à vous hanter et que vous vous surprenez à y penser au plein milieu d’un repas, d’une réunion ou d’un trajet, alors Blast est un choc visuel. Enfin, si on juge la qualité d’une histoire au fait que sa chute vous laisse pantois, alors Blast est une référence.
Ce dernier tome de la série était l’un des albums les plus attendus de ce début d’année 2014. Avec les trois premiers opus, Manu Larcenet avait déjà placé la barre très haut, nous entrainant sur des chemins tortueux, cabossés, boueux parfois, mais lumineux. Avec ce dernier tome, il nous assène le coup de grâce et nous laisse KO.
Blast est définitivement une série dont la lecture vous secoue, suscite des sentiments contrastés de rejet et d’attirance, peut même déranger par moment tant certaines scènes sont empreintes de violence et de désespoir. Cependant, la poésie permanente, la finesse du dessin, la formidable expressivité des personnages et la maitrise du scénario vous tiennent en haleine. Attention, Blast n’est pas un récit reposant et ne s’adresse pas à un public jeune, c’est un récit difficile mais c’est surtout l’œuvre mature d’un auteur et d’un illustrateur au sommet de son art.
Manu Larcenet ne nous épargne rien de la lente dérive de Polza Mancini, son héros qui se qualifie lui-même comme étant d’un aspect physique répugnant. Cet homme qui a volontairement décidé de se mettre en marge de la société humaine pour mener une vie de clochard, errant dans la forêt au gré des saisons.
C’est l’histoire d’un type dont on ne sait si il est coupable ou victime, un être étrange, monolithique, traversé par des lignes de fractures invisibles, qui suite à un trauma (le décès de son père) se brise en une multitude de particules légères comme de la poussière. Ni son état d’ébriété permanente, ni ses délires psychotiques, ni sa lente dégradation physique nous ne sont épargnés mais on s’attache à ce personnage intelligent et cynique. Polza Mancini poursuit le Blast, une sorte d’extase, d’état second qui lui permet d’échapper temporairement à sa pesanteur.
Sa confrontation avec les deux inspecteurs de police qui sont chargés de son interrogatoire constitue le fil rouge de la série. Polza Mancini est soupçonné d’avoir commis des actes de violence ayant entraîné la mort d’une jeune femme. Cependant, on ignore tout de ces actes et du contexte et c’est au travers du récit de Polza Mancini lui-même que les faits nous sont patiemment révélés, jusqu’au dénouement final.
C’est beau, c’est terriblement humain et subtil. Servi par un graphisme hors norme et une narration de qualité. Le dessin en noir et blanc est toujours aussi expressif. Manu Larcenet parvient à parsemer son récit noir, pesant, de touches de légèreté.
Chaque jour qui passe rapproche Manu Larcenet de la consécration suprême à Angoulême. Il ne pourrait en être autrement. Après nous avoir offert avec Le combat ordinaire la série majuscule de la deuxième partie des années 2000, il signe avec Blast l’un des récits marquants de ce début de décennie (le premier album de la série a été déjà été récompensé par le prix des libraires de BD en 2010).
En fin d’année 2014, au moment des récompenses, Pourvu que les Bouddhistes se trompent fera partie des sélections et à la fin de la décennie, la série figurera au panthéon de la BD des années 2010. Avec Pourvu que les bouddhistes se trompent, Manu Larcenet clôt de manière magistrale la série des Blast.
Rendez-vous vite chez votre libraire favori ou dans une bibliothèque bien achalandée, mais de grâce, lisez ce récit dans l’ordre des parutions.
C’est sorti il y a trois semaines et c’est déjà un classique. Plus qu’un coup de cœur, un monument.
« Je pèse lourd. Des tonnes, alliage écrasant de lard et d’espoirs défaits. Je bute sur chaque pierre du chemin, je tombe et je me relève. Je tombe encore. (…) Je pèse lourd et pourtant, parfois, je vole. »
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