Dessin : Griffo
Année : 1994
Synopsis :
Angleterre. Fin du XIXème siècle. Orpheline, la jeune Fanny est conduite au château de Blacktales où vit son oncle Lord Arthur Charleston qui a consenti à la recueillir à la mort de sa mère.
Lieu aussi magique qu’inquiétant, le château de Blacktales est la propriété de l’invisible Monsieur Noir qui ne daigne se rendre sur place que tous les sept ans pour signer le bail de location au moyen d’un stylo plume aux particularités étranges et au pouvoir redoutable. Quiconque est en possession de la plume au moment de l’expiration du bail devient le maître du château pour les sept prochaines années.
Or, le bail doit être renouvelé prochainement et depuis deux ans, la plume a disparu. Elle a probablement été égarée dans les dédales de cette immense demeure, sorte d’entité maléfique, dont la structure ne cesse de croître au fil des ans, prenant des proportions anormales.
La fillette apprend rapidement que le château est le lieu d’une lutte silencieuse mais féroce entre deux clans, dont les contours fluctuent au gré des trahisons, et qui s’affrontent pour le pouvoir : les Tohu et les Bohu. Le clan des Tohu soutient Lord Charleston tandis que le clan des Bohu fédère les mécontents qui rêvent de s’accaparer le pouvoir.
La Plume aurait été localisée dans la partie Est du château, lieu de résidence des maléfiques jumeaux Tango et Mambo qui se vendent au plus offrant. Du premier émissaire envoyé par les Tohu, il n’est revenu que la tête tranchée.
Entraînée par le jeune Passepied, gâte -sauce de son état, Fanny se met en quête de la Plume et s’aventure chez les jumeaux diaboliques sans savoir que dans l’ombre, plusieurs présences épient ses moindres faits et gestes.
Avis :
Avec Monsieur Noir, Griffo et Dufaux nous offrent un conte fantastique, humoristique, dense, à la noirceur fascinante, doublé d’une satire sociale.
Le château de Blacktales est une scène de théâtre, qui singe le monde politique, au sein de laquelle deux clans s’affrontent férocement, mais selon un code extrêmement complexe, scrupuleusement respecté par les protagonistes. En outre, non seulement chaque personnage a l’intime conviction d’être libre de ses actes, mais est également persuadé de pouvoir influencer, voire même de modifier, le cours des choses tandis que les jeux sont faits et que dans l’ombre l’invisible Monsieur Noir tire les ficelles de cette petite comédie humaine aux accents monstrueux.
Monsieur Noir illustre l’affrontement entre le bien et le mal symbolisés respectivement par les personnages de Fanny et de Monsieur Noir.
Cannibalisme, magie noire, trahison, monstruosité de foire, rien n’est épargné au lecteur sur fond de pseudo lutte des classes. Les décors, et en particulier le château de Blacktales, sont une des grandes réussites de l’album. Rarement un endroit n’aura été rendu aussi sinistre que cette demeure qui, telle une entité vivante, respire et croît en permanence, révélant des merveilles de souterrains, d’escaliers incessants et de douves peuplées de créatures féroces.
Outre son univers fantastique, le talent de l’album réside dans son humour féroce. Les auteurs nous proposent une galerie de personnages pittoresques, excessifs et pathétiques dont les traits sont exagérément rendus par Griffo.
Au milieu de cet univers, la jeune Fanny, sorte « d’Alice aux pays des merveilles », représente l’innocence absolue mais va rapidement comprendre les règles de ce monde, faisant preuve de vivacité d’esprit et d’opportunisme pour tirer son épingle du jeu.
Monsieur Noir est l’un de mes albums préférés, tant par la richesse et la qualité du scénario que par la beauté du dessin.
J’oserais un parallèle entre cet album et la trilogie des SOS Bonheur du même Griffo et de Van Hamme. Dans ces deux ouvrages, les personnages s’agitent pour élever leur condition sans avoir conscience de n’être que des pions qui sont manipulés par une force supérieure qui n’aspire qu’à perpétuer sa propre domination.
A redécouvrir sans cesse.
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