Une sélection du meilleur de la Bande Dessinée des années 2010 – 4ème partie

Avant-dernier chapitre de notre sélection des albums de la décennie 2010. Outre les surprises qui constituèrent de grands coups de cœur (Shangri-La, In Waves, les Ogres-Dieux), place à des auteurs majeurs de cette décennie: Manuele Fior, Emmanuel Guibert, Minetaro Moshizuki ou Sean Murphy. Voici donc les titres que j’ai retenus entre la 20ème et la 11ème place.

La malédiction de Gustave Babel – Gess – Delcourt – 2017

Tandis qu’il agonise, victime de son ancien employeur, un tueur à gage se remémore ses souvenirs les plus précieux et les moments marquants de sa vie. 1913, Gustave est un homme de main redoutable qui possède un don inestimable, il maîtrise toutes les langues du monde. Au service de la Pieuvre, la terrible mafia parisienne, il exécute froidement ses contrats avec efficacité quand soudainement la fine mécanique s’enraye. Successivement, trois de ses cibles désignées sont victimes d’accidents ou se suicident avant son intervention. Profondément déstabilisé, Gustave Babel voit resurgir le spectre de son pire ennemi: l’hypnotiseur. Après avoir créé une confrérie de super-héros français avec le scénariste Serge Lehman (La Brigade Chimérique entre 2009 et 2010), Gess s’attaque à sa première oeuvre en solo et nous immerge dans l’univers des Contes de la Pieuvre. Une très belle réussite concrétisée par un second tome paru en 2019 (Un destin de trouveur). Pour les adeptes des feuilletons policiers du début du 20ème siècle.

Les Ogres-dieux – Hubert et Bertrand Gatignol – 2014

Au beau milieu d’un banquet gargantuesque, une reine des ogres infante un être de taille si ridiculement petite qu’il n’a aucune chance de survivre au sein de sa confrérie. Soustrait de justesse à la voracité de ses congénères par sa mère qui feint de le manger, l’enfant, prénommé Petit, va être confié à sa grand-mère, une ogresse aux dimensions de cathédrale qui vit recluse dans une partie éloignée du château. Ainsi débute la saga des Ogres-Dieux, un conte fantastique doublé d’une réflexion sur le libre-arbitre. Le découpage privilégie les grandes illustrations pour notre plus grand plaisir et alterne récit dessiné et textes. Ainsi, chaque chapitre débute par un préambule littéraire visant à nous conter la destinée de quelques membres illustres de cette lignée de géants, devenus Ogres par le bon-vouloir d’un despote absolu. A frémir de plaisir. Deux tomes sont venus compléter cette série en 2016 et 2018.

L’enfance d’Alan – Emmanuel Guibert – L’association – 2012

Entre 2000 et 2008, Emmanuel Guibert nous avait marqué avec son récit intitulé La Guerre D’Alan. Issu des mémoires d’Alan Cope, cette histoire en trois tomes narrait la seconde guerre mondiale du point de vue d’un jeune appelé américain, depuis son incorporation jusqu’à la fin des hostilités. Alan ne fut pas de ceux qui débarquèrent ce fameux 6 juin 1944 en Normandie; il découvrit l’Europe avec une deuxième vague de soldats qui vécurent les combats de l’arrière. Ni héros, ni planqué, Alan avait fait la connaissance d’Emmanuel Guibert au crépuscule de sa vie et de cette rencontre était né ce témoignage sincère. Avec L’Enfance d’Alan, Emmanuel Guibert poursuit son témoignage en nous racontant l’enfance d’un jeune homme ordinaire sur la côte Ouest des USA pendant les années 30. Toujours juste, sans emphase ni compassion, un témoignage humble. un superbe album.

Tokyo Kaido – Minetaro Mochizuki – Le Lézard Noir – 2017

Au sein d’un établissement spécialisé, un professeur excentrique tente de comprendre et d’accompagner dans leur quotidien quatre enfants souffrant de traumatismes hors du commun. Hashi, 19 ans, ne peut s’empêcher de dire à haute voix tout ce qu’il pense ou qu’il ressent. Hana, 21 ans, doit vivre avec la particularité de ne pouvoir refréner ses orgasmes. Mari, 6 ans, ne perçoit pas les gens qui l’entourent et vit dans un monde isolé. Enfin, Hideo, 10 ans, est convaincu d’être doté de « super pouvoirs » et de pouvoir entrer en contact avec des êtres venus d’une autre planète. Pendant trois tomes, nous suivons le quotidien déstabilisant de ces quatre personnages en quête de reconnaissance. Étrange univers qui peut être déroutant de prime abord. Un thème rarement abordé en bande dessinée et une série surprenante.

In Waves – AJ Dungo – Casterman – 2019

Avec beaucoup de pudeur, AJ Dungo, retrace les principales étapes de sa relation avec Kristin. Depuis leur première rencontre jusqu’au combat de la jeune femme contre la maladie. Prenant appui sur leur passion commune pour le surf, l’auteur intègre dans son récit une anthologie de l’histoire du surf, depuis les pratiques originelles jusqu’aux références contemporaines. In Waves fait partie de ces ouvrages atypiques qui marquent les esprits par leur sincérité et leur qualité graphique. Un album extrêmement touchant qui évite l’écueil du pathos pour ne retenir que le courage et le combat d’une jeune femme. Un des albums marquants de l’année 2019.

Tokyo ghost – Sean Murphy et Rick Remender – Urban Comics – 2016

2089, au sein d’une humanité débarrassée des contraintes liées à la production de biens matériels et de ressources alimentaires, seuls subsistent la recherche du divertissement et la dépendance aux réseaux sociaux. Les hommes vivent dans une cité lacustre au sein de laquelle les inégalités sociales se sont accentuées. Si les plus pauvres tentent de survivre au quotidien, les populations aisées s’adonnent à de multiples plaisirs sauvages et sanglants. Dans cette société corrompue et asservie, l’application de la loi a été déléguée à des sociétés privées. Led Dent et Debbie Decay incarnent le bras armé de ce nouveau pouvoir. Tandis que l’un est totalement dépendant de ses flux d’information en continu, l’autre incarne une infime minorité qui a décidé de s’affranchir d’Internet. A la demande de leur employeur, ils sont mandatés pour infiltrer une communauté réfractaire, vivant au cœur historique de Neo-Tokyo, à l’écart des réseaux de l’information. Récit de science-fiction, Tokyo Ghost est à mettre au crédit du dessin hyper musclé de Sean Murphy. Un récit qui fait réfléchir sur l’avenir de notre société.

Shangri-La – Mathieu Bablet – Ankama – 2016

L’un des grands succès de l’année 2016. Après La belle mort (2011) et Adrastée (2013) Mathieu Bablet nous livre avec Shangri-La une œuvre époustouflante. Un pur récit de science-fiction construit sur deux niveaux : une partie space-opéra et une partie presque sociologique sur les comportements à l’intérieur de la station orbitale. Si on aime tant la science fiction c’est pour ce qu’elle dit de nos situations humaines actuelles. Et à ce niveau là Shangri-La est un chef d’œuvre! Car sur cette station orbitale il n’y a pas d’élections ni de gouvernement mais un simili conseil d’administration de l’unique entreprise encore existante (Tianzhu Enterprises), fournissant nourriture, logements, habits… sans oublier les équipements technologiques qui occupent une grande place dans le récit. « Travailler. Dormir. Travailler. » Un nouveau dogme. Album de l’année 2016 pour Rosebul.

L’été Diabolik – Thierry Smolderen et Alexandre Clerisse – Dargaud – 2016

Le narrateur, un jeune homme prénommé Antoine se remémore les événements qui vingt ans plus tôt ont précédé la disparition brutale et inexpliquée de son père. Une mécanique scénaristique redoutable de maîtrise qui tient en haleine le lecteur. Construit en deux parties, la narration présente tout d’abord les événements de l’été 1967 avant de nous livrer la solution de l’énigme. Seconde collaboration entre le scénariste Thierry Smolderen et Alexandre Clerisse après Se souvenir de  l’Empire de l’Atome (2013) et avant Une année sans Cthutlu (2019). A noter l’hommage au personnage de Diabolik qui plane sur tout l’album jusqu’à la superbe couverture qui reprend la symbolique du regard masqué. Un très bon polar à l’esthétisme réussi.

Les équinoxes – Cyril Pedrosa – Dupuis – 2015

Malgré trois albums uniquement, Cyril Pedrosa a marqué de son empreinte la décennie 2010. Portugal (2011), Les équinoxes (2015) et L’âge d’or (2018) sont des albums qui ont systématiquement touché le public et été salué par la critique. Dans les Equinoxes, l’auteur s’attache aux destins d’un groupe de personnages dont les routes se croisent tout au long du récit. Ayant pour principal point commun de vivre dans une relative solitude, ces hommes et ses femmes se découvrent au fil du récit jusqu’à ce que nous prenions conscience des liens qui les unissent. Alternant les ambiances, construit autour des quatre saisons, ces récits gigognes s’imbriquent parfaitement pour conférer un sens à l’ouvrage. Alternant les teintes en fonction des saisons, Pedrosa nous embarque dans son monde avec délicatesse et patience. Plus de 300 pages de plaisir.

Cinq mille kilomètres par seconde – Manuele Fior – Atrabile – 2010

Impossible de ne pas évoquer Manuele Fior dans cette sélection. Fauve d’or à Angoulême en 2010, ce cinq mille kilomètres par seconde fait le récit d’une histoire d’amour entre un homme et une femme au fil de leur existence. A l’adolescence, Piero fait la connaissance de Lucia. Ils se séduisent, s’aiment puis se séparent, entraînés par leurs propres destinés. Reflétant les errances et les aspirations de leur génération, ils s’aventureront dans le monde, prendront des chemins de traverse et des fausses pistes avant de se retrouver finalement. Servi par les merveilleuses aquarelles de Manuele Fior, Cinq mille kilomètres par seconde est un album magnifique, émouvant et sincère. Illustrateur pour des revues et divers journaux italiens, Manuele Fior signera également L’entrevue (2013) et un superbe recueil de dessins (2017). Un auteur qui compte et qui sait innover en alternant les supports et les styles graphiques.

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