Ballade au bout du monde / Tome 1 – La prison

Laurent Vicomte s’est éteint en août 2020, à l’âge de 63 ans. Bien qu’il n’ait dessiné qu’un nombre restreint d’albums (une dizaine), il occupe une place à part dans le paysage de la bande dessinée car il reste le dessinateur de deux séries à succès: Sasmira et Ballade au bout du monde. Hommage à un artiste perfectionniste et attachant.

Ballade au bout du monde (c) Glénat

Synopsis

Ayant appris par hasard l’existence d’une vaste région marécageuse baignée en permanence par la brume, un jeune photographe parisien, obsédé par son art, décide de se rendre quelques jours sur place pour réaliser un reportage.

A peine arrivé à destination, le jeune homme est le témoin d’une vive altercation entre le propriétaire de l’hôtel dans lequel il a prévu de résider, et un pauvre bougre. Ce dernier, un ancien médecin tombé dans l’alcoolisme, reproche à l’hôtelier la disparition inexpliquée de son fils dans les marais, dix ans auparavant, à l’occasion d’une partie de chasse. Le photographe découvre alors que des phénomènes identiques de disparition se sont produites dans la région au cours du temps. Surnommé le Bout du Monde, ce vaste marais peu accessible semble receler une part de mystère.

Ballade au Bout du Monde (C) Glénat

Le lendemain matin, au moment de partir faire ses premières photos, Arthis Jolimon, apprend qu’une jeune femme est elle-même partie à l’aube. Avide de faire sa connaissance, le photographe prend à son tour le chemin des marais. Rapidement il repère sa consœur et il commence à l’observer à distance, à l’aide de son téléobjectif. Leurs regards ne tardent pas à se croiser et, dans un sourire, ils se saluent réciproquement.

Soudain, le visage de la jeune femme semble se figer de stupeur et Arthis assiste à son agression par des individus étrangement vêtus. Tandis qu’il se précipite à son secours, il est à son tour pris à partie par des agresseurs et il reçoit un violent coup sur la tête avant de s’effondrer inconscient. Quand enfin, il se réveille, il découvre qu’il est prisonnier dans une ancienne geôle.

Avis

Laurent Vicomte s’est éteint en août 2020, à l’âge de 63 ans. Quand au début des années 80 les éditions Glénat publient le premier tome de Ballade au Bout du Monde, il est encore un jeune auteur peu connu. Cependant, entre 1982 et 1988, par le biais de la publication en revue, puis en albums, des quatre tomes qui constituent le premier cycle de cette saga, Vicomte (dessin) et Makyo (scénario)  vont acquérir une notoriété importante dans le monde des amateurs de bandes dessinées.

Dans le superbe recueil de dessins qui lui fut consacré par les éditions Daniel Maghen en 2003 (Virages), Laurent Vicomte raconte la genèse de cette série. Alors tous jeunes auteurs, Pierre Makyo, Alain Dodier et Laurent Vicomte se retrouvent sans support de publication quand le périodique Pistil, qui accueille leurs histoires, cesse de paraître. Vicomte propose alors à ses deux compères de se rendre en Auvergne, dans la maison d’un ami, pour entreprendre une retraite « créative » à la recherche de nouvelles histoires à raconter.

La maison dans laquelle les jeunes auteurs sont hébergés est située dans un endroit tellement reculé et isolé qu’elle inspire à Pierre Makyo la réflexion que les habitants de cette région pourraient y vivre en autarcie, en perpétuant des pratiques séculaires. « Ils pourraient y vivre comme au moyen-âge ». Le projet est né. A partir de cette idée – une société ayant décidé de se retirer du monde pour y vivre comme au moyen-âge – Pierre Makyo créé une intrigue reposant sur la confrontation d’un jeune homme du 20ème siècle avec une société vivant en marge du monde contemporain sans parvenir toutefois à échapper à ses démons. Ayant envisagé la publication d’un unique album d’une cinquantaine de pages, les auteurs démarchent plusieurs maisons d’éditions pour vendre leur projet. Ils essuient une succession de refus polis jusqu’à à ce que la maison Glénat, qui est la recherche de nouvelles histoires pour lancer un nouveau périodique intitulé Gomme, ne leur donne son accord. Toutefois, il ne s’agira pas de publier un unique album mais une série qui devra paraître en feuilleton. C’est ainsi que Ballade au bout du monde va naître.

Ballade au Bout du Monde (C) Glénat

Publié an album en 1982 à 8000 exemplaires, la série va rencontrer un très grand succès et figure encore aujourd’hui parmi les titres références de Glénat.

Par la suite, Pierre Makyo s’orientera sur une nouvelle intrigue dont il assurera à la fois le scénario et le dessin : Grimion Gant de cuir, Alain Dodier donnera naissance à Jérôme K. Jérôme Bloche et Laurent Vicomte donnera naissance à une série qui contribuera à sa légende d’auteur imprévisible : Sasmira.

La première partie de La Prison constitue un récit haletant qui narre l’histoire d’un jeune homme retenu prisonnier dans les vastes caves d’un château médiéval, au sein d’un groupe de prisonniers rendus fous par l’isolement, la promiscuité, l’absence de perspectives et d’explications sur les motifs de leur enfermement. Obsédé par le sort de celle qu’il n’a fait qu’entrevoir le jour de sa disparition, Arthis n’aura cesse que d’essayer d’échapper à cet univers carcéral pour la retrouver et fuir cet univers cauchemardesque. Quand il parviendra à sortir de sa prison, ce sera pour découvrir une société brutale, vivant recluse, au temps du moyen-âge.

Dans un deuxième temps, Arthis sera confronté, au sein de cette nouvelle communauté, aux luttes de pouvoir pour la gouvernance de ce microcosme.

En effet, cette société, qui a choisi des centaines d’années auparavant de vivre en marge de ses congénères pour fuir leur violence et leur dépravation, n’a pas été en mesure d’échapper à sa propre humanité et à son cortège d’intrigues politiques, de luttes de pouvoir et de violence. Cette intrigue a depuis été reprise dans d’autres supports narratifs, et on songe naturellement au Cinéma (The Village de Night Shyamalan).

Un récit que l’on redécouvre avec plaisir et une belle façon de se replonger dans l’œuvre d’une grande signature atypique de la bande dessinée contemporaine.

Scénario: Pierre Makyo

Dessin: Laurent Vicomte

Année: 1982

Éditeur: Glénat

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