Poursuite de notre voyage dans le temps avec cette sélection d’albums de la décennie 2010. Seconde partie avec les albums que j’ai retenus entre la 40ème et la 31ème place. Où se côtoient un tueur à gage, des vampires, des travestis et un ministre.
Tyler Cross – Fabien Nury et Bruno – Dargaud – 2013
En 2013, un braqueur professionnel aux manières expéditives est engagé pour dérober à une bande rivale une cargaison de drogue qui doit être réceptionnée sur les rives du Rio Bravo. Cependant, rien ne se passe comme prévu et le rendez-vous nocturne tourne au carnage. Au petit jour, Tyler Cross se retrouve dans le désert, sans moyen de transport, chargé de 17 kilos d’héroïne d’une valeur d’un demi-million de dollars, avec 21 dollars et 80 cents en poche. Deux ans après une première collaboration pour le superbe Atar Gull, les deux auteurs se retrouvaient pour nous concocter un album qui lorgne avec gourmandise vers l’univers de Quentin Tarantino. En l’espace de trois albums, le personnage s’est inscrit comme un héros récurrent apprécié du public.
Dracula – Georges Bess – Glénat – 2019
Adaptation éponyme du roman de Bram Stocker, ce Dracula est à l’image des cathédrales qui furent élevées par les hommes du moyen-âge: gothique et flamboyant. Au fil de pages à la noirceur vénéneuse, Georges Bess parvient à retranscrire avec brio la beauté maléfique et sensuelle du conte original. Succession de tableau fourmillant de détails servie par un découpage brillant, la lecture nous procure un très grand plaisir. Une réussite qui met en lumière l’immense talent d’un dessinateur rare. La couverture de cet album restera l’une des plus marquante de l’année 2019. A lire impérativement.
Docteur Radar – Bézian et Noël Simsolo- Glénat – 2014
1920. Deux savants qui travaillent sur la conquête spatiale sont retrouvés morts. Peu de temps après, c’est un troisième scientifique qui succombe à une piqûre de scorpion en plein Paris. Il n’en faut pas plus pour attirer l’attention de Ferdinand Straub, un ancien pilote devenu détective, qui entame son enquête et identifie bientôt l’ombre du mystérieux Docteur Radar derrière ces crimes. Entre le diabolique malfaiteur aux multiples visages et l’audacieux aventurier, une lutte sans merci s’engage. En deux tomes, Bezian et Simsolo ont installé le personnage du Docteur Radar dans la droite ligne d’un Fantomas. Un bon polar servi par le dessin dynamique de Bezian. Troisième tome prévu pour fin 2020.
Mauvais genre – Chloé Cruchaudet – Delcourt – 2013
A peine mariés, Paul et Louise sont séparés par la guerre de 14. Mobilisé, Paul, qui souhaite à tout prix échapper à l’enfer des tranchées, décide de déserter pour rejoindre Louise à Paris. Se sachant menacé du peloton d’exécution s’il est repris, et afin d’échapper à la clandestinité, Paul décide de se travestir et de devenir Suzanne. Étrange destin que celui de ce déserteur qui nous entraîne dans le Paris interlope de la première guerre mondiale. Peu à peu les deux amants vont basculer dans le sordide. L’album qui permit à Chloé Cruchaudet de gagner le cœur du public. Doublement récompensé en 2014 par le prix de la critique ACBD et le prix du public à Angoulême.
Asterios Polyp – David Mazzucchelli – Casterman – 2010
Au-delà de l’intrigue, cet album est remarquable en raison de sa créativité graphique. Un architecte new-yorkais, archétype de l’intellectuel imbu de sa personne, est davantage renommé pour ses projets que pour ses réalisations. De fait aucune de ses esquisses n’a jamais fait l’objet d’une construction. Un soir, tandis qu’un incendie ravage son appartement, l’homme se retrouve à la rue, sans le sou. Il se résout alors à partir sur les routes et va profiter de cet confrontation avec le réel pour procéder à un examen de conscience. Au-delà de l’intrigue, l’album brille par sa créativité. Changement de style en fonction des époques du récit, typographie différente pour les personnages. un album remarquable.
Cinq branches de coton noir – Yves Sente et Steve Cuzor – Dupuis – 2017
1944, un soldat américain se morfond dans un camp militaire sur la côte anglaise quand il reçoit un courrier de sa sœur. Celle-ci lui annonce qu’elle a découvert, dans les affaires de leur tante décédée, un témoignage d’une valeur inestimable. Un secret aurait été caché dans le premier étendard des Etats-Unis. L’emblème étant tombé aux mains des nazis, les hommes décident de monter une opération pour aller récupérer la précieuse relique. Mêlant le récit historique et la réflexion sur la ségrégation, l’album évite avec soin les postures héroïques inutiles pour privilégier le récit et l’action. Un très bon récit servi par un dessin réaliste.
Quai d’Orsay – Christophe Blain et Abel Lanzac – Dargaud – 2010
Fraîchement diplômé, Arthur Vlaminck est embauché au ministère des Affaires Etrangères pour contribuer à rédiger les discours du ministre. Peu à peu le jeune fonctionnaire va devoir trouver trouver sa place au sein d’une équipe de conseillers ambitieux, sous l’autorité discrète du directeur du cabinet. Entre coups fourrés et coups d’éclat, une plongée riche d’enseignements au sein des coulisses du pouvoir qui connaîtra son apogée avec l’épisode du discours aux Nations-Unies. Inspiré de l’expérience d’Abel Lanzac qui fut lui-même conseiller du ministre, cet album réussit le tour de force de peindre avec justesse et humour le microcosme politique français. Servi admirablement par le trait nerveux et précis de Christophe Blain, l’album retranscrit avec humour l’ambiance au Quai d’Orsay lors du passage d’un certain Dominique de Villepin.
Pereira prétend – Pierre-Henry Gomont – Sarbacane – 2016
Adapté d’un roman italien publié en 1994, Pereira Prétend narre la lente maturation, chez un homme d’âge mûr, de sa conscience politique. Journaliste au Lisboa à la fin des années 30, Le Dottore Pereira mène une vie bourgeoise, faite de conformisme et d’excès alimentaires. Un jour, il tombe par hasard sur le compte-rendu d’une thèse de philosophie qui attise sa curiosité. Il décide dès lors de rencontrer son auteur. Ce dernier s’avère être un jeune homme idéaliste, sans le sou, qui fréquente les milieux révolutionnaires. Mû par une impulsion irraisonnée, Pereira décide d’embaucher le jeune homme en tant que pigiste et lui confie la rédaction de nécrologie d’auteurs littéraires en prévision de leurs décès. Un récit intimiste servi par des couleurs lumineuses. Pierre-Henry Gomont transformera l’essai en 2018 par l’intermédiaire de Malaterre. Un auteur à suivre.
Kobane Calling – Zerocalcare – Cambourakis – 2016
En 2014, A l’initiative de son journal, Zerocalcare part dans la région de Kobane, à la frontière turque, à la rencontre de l’armée des femmes kurdes en lutte contre l’État Islamique. Quatre ans avant que cette région ne fasse les gros titres de l’actualité internationale, l’auteur italien livre un témoignage dessiné d’une sincérité désarmante. Faisant l’effort de retranscrire la complexité et les contradictions d’un conflit contemporain, Zerocalcare manie la dérision pour faire retomber la pression et fait un constat lucide de la confrontation entre les idéaux de sa génération et la brutalité de la real-politik mondiale. Phénomène éditorial en Italie, Zerocalcare reste un auteur trop méconnu en France. Le récit à hauteur d’homme d’un conflit qui fait malheureusement aujourd’hui la une de l’actualité.
L’Arabe du Futur – Riad Sattouf – Allary Editions – 2014
Fruit de la rencontre entre une mère bretonne et un père syrien, Riad Sattouf nous livre avec humour le récit de ses années d’enfance en Libye et en Syrie. Avec quatre tomes publiés entre 2014 et 2018 pour L’Arabe du Futur, Riad Sattouf a été l’un des grands acteurs de la BD pendant les années 2010. Multi-récompensé pour sa série auto-biographique (Grand Prix RTL de la BD 2014, Fauve d’Or à Angoulême en 2015), Riad Sattouf a également été plébiscité pour sa série Les Cahiers d’Esther, dans laquelle il décrit avec finesse les réflexions d’une adolescente contemporaine. Toujours juste, sans céder à la vulgarité ou à la facilité, Riad Sattouf trace sa route avec brio depuis le début de la décennie. Une des grandes plumes de cette décennie.
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