Aldobrando

Un innocent emprisonné à tort, une princesse triste, un roi grotesque et un assassin à la force herculéenne… Et ce ne sont que quelques-uns des personnages que Gipi et Luigi Critone nous donne à découvrir dans ce remarquable one-shot paru en janvier chez Casterman. Une merveille de conte à découvrir d’urgence.

Synopsis

En des temps reculés, un chevalier âgé se présente à l’aube devant une chaumière isolée dans laquelle vit un ermite. Le chevalier se sait condamné car, le jour même, il doit descendre dans la « Fosse », une arène dans laquelle se règlent dans le sang les questions d’honneur. Vu son âge avancé et la personnalité de son adversaire, le chevalier sait qu’il ne reviendra pas.

En contrepartie du règlement d’une veille dette, il demande à l’ermite de prendre en charge l’éducation d’un jeune garçon répondant au prénom d’Aldobrando. Ayant fait promettre au vieil homme le secret sur l’identité du père de l’enfant, le chevalier s’en repart vers son destin, abandonnant son fils.

Quelques années ont passé. Aldobrando est devenu un jeune homme très craintif, frêle, qui ne sort presque jamais de la chaumière dans laquelle il a grandi. Le jeune garçon voue une loyauté sans faille à celui qui l’a nourri et élevé depuis de longues années mais il ne semble guère intéressé par le monde du dehors.

Un beau matin, l’ermite, qui fait office de sorcier, décide de requérir l’aide de son disciple pour exécuter un sortilège. Cependant, l’affaire tourne mal et le vieil homme est vilainement blessé au visage par un chat qu’il devait ébouillanter. L’ermite enjoint Aldobrando de sortir lui récolter quelques feuilles d’herbe du Loup pour lui préparer une décoction qui pourra le guérir.  Aussitôt dit, aussitôt fait, et malgré le froid qui règne dehors, le jeune garçon se met en quête de la feuille convoitée. 

Le lendemain matin, tandis qu’il s’est réfugié dans un terrier pour se protéger du froid, Aldobrando est brusquement réveillé par un individu qui le menace avec sa lance. Tandis qu’il souhaite poursuivre sa quête, Aldobrando se retrouve enrôlé de force par le drôle en tant qu’écuyer et obligé de le servir.

Après quelques péripéties, les deux compagnons de voyage pénètrent dans une première ville, à l’initiative d’Aldobrando qui cherche un médecin pour soigner son nouveau compagnon d’infortune. Tandis que ce dernier s’éclipse, Aldobrando se fait arrêter par des soldats. Accusé d’avoir essayé d’occire un jeune prince au moyen de la lance qu’il portait en main, le jeune garçon se retrouve jeté au cachot, et condamné à être écartelé en place publique deux jours plus tard.

Avis

Aldobrando est un conte picaresque qui narre les aventures truculentes d’un jeune garçon dans un moyen-âge imaginaire. 

Avec beaucoup de réussite, les deux auteurs parviennent à nous entrainer dans un récit à la fois tragique et comique. Autour du personnage central d’Aldobrando, ils dépeignent une galerie de personnages qui donnent beaucoup d’épaisseur à ce conte.

Littéralement, un roman picaresque se présente sous une forme autobiographique et dépeint le destin de héros miséreux, survivant en marge de la société, et qui vont être confrontés à des aventures extravagantes. Traditionnellement on songe au roman anonyme La vie de Lazarillo de Tormes pour illustrer ce style littéraire ou au Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki (première publication en 1797).

Dans le cas présent, Aldobrando est un jeune jeune homme naïf, pauvre mais loyal, qui se retrouve accusé à tort d’avoir tenté d’assassiner un jeune prince et qui va être, contre son gré, entraîné ans une histoire de machination politique, tandis que son seul souhait consiste à porter assistance à son maître.

Au fil de l’histoire, sa naïveté s’estompe pour céder la place à une prise d’initiative au fur et à mesure que l’innocence le quitte. Au final, il va acquérir suffisamment de courage pour essayer de porter assistance à celle qui fait battre son cœur.

Les personnages secondaires sont remarquables. Depuis le machiavélique Geulevice (dont le facies ressemble bigrement à Federico Da Montefeltro, un érudit italien du 15ème siècle, tel que peint par Piero Della Francesca), jusqu’au brutal Beniamino ou au scribe Paprasse (le bien-nommé). Le scénario de Gipi nous offre quelques délicieux échanges entre tous ces individus aux prises avec des destins qui leur semblent bien contraires.

Au final, en tant que lecteur, j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les péripéties de ce condensé d’humanité au fil des 200 pages du récit.

Mention spéciale au dessin de Luigi Critone qui met merveilleusement en scène cette délicieuse intrigue. Critone a un talent singulier pour mettre en cohérence les traits de visage de ses protagonistes avec leurs traits d’esprit. Depuis le visage diaphane de la princesse Bianca des deux Fontaines aux traits grotesques du roi, la personnalité des personnages se devine sur leur visage.

Enfin, j’ai tout particulièrement aimé cette scène d’ouverture magnifique pendant laquelle le chevalier confie son enfant au vieil ermite. L’ambiance crépusculaire est saisissante et constitue une très belle mise en bouche.

Un très bon récit, plein de suspens et d’humour qui mérite d’être partagé avec le plus grand nombre. A lire à tout âge.

Scénario: Gipi

Dessin: Luigi Critone

Année: 2020

Éditeur: Casterman

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