Suite et fin de cette rétrospective consacrée aux albums de la décennie 2010. Place aux albums ou aux séries que j’ai retenus aux dix premières places. Logiquement, on retrouve trois des grands animateurs de cette décennie: Wilfrid Lupano dont le talent scénaristique s’exprime aussi bien dans l’humour que dans le récit policier ou dans le registre fantastique, Sean Gordon Murphy, l’auteur du génial Punk Rock Jesus, et bien sûr Manu Larcenet, auteur de Blast, une des séries majuscules de cette décennie. A leurs côtés, des auteurs confirmés (Craig Thompson, Frederik Peeters, Benjamin Flao) et de nouveaux arrivants (Thimothé le Boucher, Nejib) dont il faudra suivre les travaux.
Habibi – Craig Thompson – Casterman – 2011
Sept ans de travail auront été nécessaires à Craig Thompson pour imaginer et dessiner Habibi. Monumental ouvrage de plus de 600 pages, l’album se présente sous la forme d’un récit non linéaire qui oscille entre tragédie et conte oriental, narrant le destin de deux enfants qui tentent de survivre dans un monde de misère et de violence. Huit ans après Blankets, manteau de neige (2003), l’album qui l’avait révélé au grand public, l’auteur produisait un nouvel album marquant dans lequel il abordait de nouveau ses thèmes de prédilection: l’éveil des sens et la culpabilité. Indispensable.
Azimut – Wilfrid Lupano et Jean-Baptiste Andréae – Vents d’Ouest – Depuis 2012
Il était une fois un royaume dans lequel vivaient des oiseaux mécaniques qui pondaient des œufs d’où sortaient d’étranges créatures. Il était une fois un monde fantastique et poétique au sein duquel se croisaient une galerie de personnages incongrus, tantôt inquiétants, tantôt attachants. En 2012, Wilfrid Lupano et Jean-Baptiste Andreae nous faisaient découvrir une contrée lointaine peuplée de rêves et de peurs. Depuis, au fil des cinq albums de cette superbe série, les auteurs nous tiennent en haleine et nous émerveillent. Mais prenez garde, car dans l’ombre l’arracheur de temps poursuit sa tâche macabre. Ne dormez que d’un œil.
Pluto – Naoki Urasawa – Kana – 2010
A une époque où les robots et les humains cohabitent, des crimes mystérieux sont perpétués. A la violence des crimes commis s’ajoute un rituel préoccupant: chaque victime est retrouvée affublée de cornes en guise de couvre-chef. Bientôt il s’avère que les cibles sont essentiellement constituées des sept robots les plus forts du monde. L’enquête est confiée à Gesicht, un robot taciturne hanté par une précédente enquête au cours de laquelle il a malencontreusement causé la mort d’un homme. En adaptant l’un des épisodes les plus célèbres des aventures d’Astro, Noaki Urasawa rend un hommage appuyé au Maître Ozamu Tezuka. L’auteur génial de Monster et de 20th Century Boys fait une nouvelle fois l’étalage de sa maîtrise du scénario et transforme un récit court en une série haletante.
L’homme gribouillé – Frederik Peeters et Serge Lehman – Delcourt – 2018
En janvier 2018, nous prenions une claque graphique. Avec l’homme gribouillé, Serge Lehman et Frederik Peeters nous plongeaient dans un conte fantastique de haute volée. Trois femmes issues d’une même lignée se retrouvaient plongées au cœur d’une intrigante enquête sur leurs propres origines, poursuivies par un être étrange, mi-homme, mi-oiseau, bien décidé à leur faire passer un sale quart d’heure. Un récit nerveux porté par le noir et blanc d’un Peeters inspiré. Un conte fantastique sublimé par un personnage de méchant que vous n’oublierez pas.
Come Prima – Alfred – Delcourt – 2013
Après plus de dix ans de séparation, deux frères entreprennent un long périple en automobile, à bord d’une fiat 500, pour ramener au pays les cendres de leur père. Road Movie intimiste, ce récit familial
raconte l’histoire d’une famille italienne, depuis la fin des années 60 à nos jours, au travers du destin de deux frères confrontés à l’histoire contemporaine de leur pays. Servi par un dessin de toute beauté, l’album remportera le Fauve d’Or à Angoulême en 2014. Depuis, Alfred trace sa route avec talent et générosité alternant albums d’illustrations et romans graphiques dont le dernier en date, Senso est paru fin 2019 et renoue avec la veine poétique de Come Prima.
Stupor Mundi – Nejib – Gallimard – 2016
A la fin du moyen-âge, un savant arabe, Hannibal Qassim-El-Battouti, accoste sur le rivage des Pouilles pour trouver refuge au sein d’une forteresse mystérieuse qui abrite les plus éminents érudits de l’époque. Dans ce lieu à l’écart du monde, le savant espère trouver un sanctuaire pour achever sa prodigieuse et secrète invention, intitulée Beît-el-Dhaw. Avec Stupor Mundi, Nejib construit une fiction érudite qui imagine la rencontre entre un Empereur éclairé et un descendant imaginaire du savant Alhazen. En sus, à la manière d’un Umberto Eco, l’auteur pimente son histoire d’une intrigue policière qui se déroule sous forme d’un huis-clos au sein d’une forteresse médiévale. Un récit lumineux.
Essence – Fred Bernard et Benjamin Flao – Futuropolis – 2018
Un ange gardien novice est chargé d’aider un homme récemment trépassé à élucider les conditions et les raisons de son décès pour l’aider à quitter le purgatoire. En 2018, Fred Bernard et Benjalin Flao nous entraînent dans un récit baigné d’onirisme, sur les traces d’Achille, dans sa douloureuse quête de la vérité. Alternant road-movie humoristique et situations cauchemardesques, cette histoire est aussi une ode à la bagnole et au monde des rêves. L’un des albums les plus attachants de 2018. A découvrir si vous ne l’avez pas déjà lu.
Ces jours qui disparaissent – Thimothé le Boucher – Delcourt – 2017
Un jeune acrobate fait une chute violente sur la tête en raison de la rupture du support sur lequel il travaille. Comme il se relève immédiatement, l’incident est vite oublié. Mais quelques jours plus tard, le jeune homme se réveille un matin et constate qu’il a perdu une journée. Tandis qu’il s’est couché le lundi soir, il ne se réveille que le mercredi matin. Bientôt le phénomène se reproduit et le jeune homme découvre qu’une autre personnalité semble occuper son corps pendant ses absences. A partir de cette idée lumineuse, Thimothé le Boucher signe son premier album et fait une entrée fracassante dans le petit monde de la BD. Un récit présenté uniquement du point de vue de l’un des protagoniste. A découvrir impérativement avant qu’il ne soit adapté au cinéma très prochainement.
Punk Rock Jesus – Sean Gordon Murphy – Urban Comics – 2013
Une société de production décide de lancer le premier programme télévisé de clonage humain ayant pour sujet le Christ lui-même. A partir de fragments d’ADN prélevés sur le Saint Suaire, et avec l’aide d’une scientifique titulaire du prix Nobel pour ses recherches sur la génétique, la société OPHIS a entrepris de donner naissance à un enfant en prime-time le soir de Noël. Avec ce récit intelligent et musclé, Sean Gordon Murphy nous prend aux tripes dès la première page et nous laisse groggy et songeur à la fin de la lecture. Réflexion géniale sur les dérives du business du divertissement, ce récit interroge sur les limites de la Morale et sur la violence de notre société. Suivront The Wake, Tokyo Ghost et une superbe incursion dans l’univers de Batman avce White Knight. L’un des auteurs majeurs de cette décennie.
Blast – Manu Larcenet – Dargaud – 2010
Si on jauge la qualité d’un récit au fait que sa lecture vous captive au point de vous entraîner tard dans la nuit, alors Blast est une réussite. Si on mesure la qualité graphique d’un album de BD au fait que bien après sa lecture, les illustrations continuent à vous hanter et que vous vous surprenez à y penser au plein milieu d’un repas, d’une réunion ou d’un trajet, alors Blast est un choc visuel. Enfin, si on juge la qualité d’une histoire au fait que sa chute vous laisse pantois, alors Blast est une référence. Publié fin 2009, le premier tome de Blast reçoit d’emblée le prix des libraires de BD 2010. Depuis, en l’espace de quatre tomes, cette mini série a imposé définitivement et durablement Manu Larcenet au panthéon des auteurs de BD. probablement le plus grand auteur de sa génération, Manu Larcenet a refusé à ce jour la récompense suprême à Angoulême. Pourtant, pour Blast, pour Le Rapport de Brodeck, pour Le combat Ordinaire, Manu Larcenet mérite amplement cette récompense. La série de la décennie.
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