Avec 1984, Xavier Coste nous offre une adaptation particulièrement réussie du roman éponyme de George Orwell. L’un des albums marquants de l’année 2021.
Synopsis
Winston Smith est un employé ordinaire du ministère de la Vérité. Au sein de cette administration, sa tâche consiste à traquer, dans les publications étatiques, toutes les informations – récentes ou anciennes – qui ne serraient plus en adéquation avec la vérité « officielle » du moment. Ainsi chaque jour, en fonction des directives et des incantations du Pouvoir, Winston réécrit l’histoire au gré des réalités nouvelles.
Observé à chaque instant par des caméras, par des espions, par ses collègues ou par ses voisins, Winston vit en permanence sous l’œil inquisiteur du Parti unique. Un soir, malgré tous les risques encourus, Winston commence à consigner ses observations et ses réflexions dans un carnet. C’est alors qu’il rencontre Julia.
Avis
Adapter en bande dessinée une œuvre telle que 1984 est une gageure. Non seulement parce que c’est un roman majeur de la littérature contemporaine, mais également parce que le thème du totalitarisme – au centre de cette histoire – a précédemment été décliné avec brio dans des œuvres marquantes telles que V pour Vendetta (Alan Moore, David Lloyd), SOS Bonheur (Griffo, Van Hamme) ou encore Perramus (Brescia), pour ne citer que celles-ci.
Malgré ces écueils, Xavier Coste réussit à nous proposer un récit à la fois personnel et respectueux des thèmes majeurs du roman d’origine.
L’adaptation d’un récit littéraire en bande dessinée n’est ni un exercice nouveau, ni un exercice aisé.
Dès 1929, Edgar Rice Burroughs confia à Harold Foster l’adaptation de son œuvre principale Tarzan en bandes dessinées, avec le succès que l’on sait. Plus récemment, on pourrait citer – dans différents genres littéraires – les adaptations des univers de Léo Mallet par Tardi (120, rue de la Gare), de Philippe Claudel par Manu Larcenet (le Rapport de Brodeck) ou dans un univers différent, d’Alain Damasio par Eric Henninot (La horde du contrevent). C’est également un exercice difficile car le lecteur s’est construit une image mentale du récit. Il faut donc faire des choix esthétiques forts pour proposer une lecture suffisamment originale pour qu’elle ne rebute pas ce dernier.
L’autre difficulté réside dans les choix effectués par le dessinateur : adaptation stricte ou relecture personnelle. Dans le cas présent, Xavier Coste choisit de rester fidèle à la trame du récit d’origine mais en limitant le recours au texte pour privilégier la narration par l’image. Ce faisant, il accentue la fluidité du récit, dans lequel l’atmosphère oppressante est véhiculée, non seulement par la répétition incessante des injections de Big Brother, mais aussi par l’esthétique de l’album.
Dans une courte vidéo visible sur Youtube, l’auteur explique s’être inspiré du Brutalisme, un style architectural qui a connu un grand succès entre les années 1950 et 1970 et qui se caractérise par une utilisation massive du béton et par le peu de recours aux ornements (merci wiki). Ce style architectural sera notamment popularisé en France par l’architecte Le Corbusier.
L’utilisation de ce style architectural permet de mettre en scène un environnement urbain « brut », lugubre, inquiétant. Un univers de lignes droites, de blocs massifs et de perspectives écrasantes. La ville domine «physiquement» l’Homme comme l’Administration domine l’individu. Dans cet univers totalitaire, les bâtiments ne sont pas issus de modifications successives, d’ajouts, de « métissage » de style. Ils sont monolithiques, ils semblent surgir du fond des âges, sûrs de leur fonction et de leur toute-puissance. Il n’existe qu’un style unique comme il n’existe qu’une pensée unique. Par ce choix, davantage que de longues tirades, les illustrations de Xavier Coste permettent de restituer l’atmosphère du roman. L’oppression est palpable. C’est l’une des multiples réussites de cet album.
Un soin est également apporté aux visages des personnages. Tandis que le personnage principal reste souvent impassible, dissimulé derrière ses lunettes, l’exacerbation des sentiments est très présente sur les visages des autres protagonistes. La haine que l’on lit sur le visage des enfants embrigadés dès leur plus jeune âge et qui jouent à se tuer, se dénoncer ou à s’arrêter. La haine de la foule à l’égard des prisonniers qui sont exécutés en public. La violence exacerbées dans le cadre de cette « minute de la haine » offerte aux fonctionnaires chaque jour pour exprimer leur adhésion, mais aussi pour exorciser leur propre peur.
Enfin, l’emploi des couleurs est très intéressant. Une dominante de gris qui parcourt tout l’album comme une tristesse sans fin et un recours à la couleur pour exprimer l’état d’esprit du personnage principal. Le rouge de l’intime, de l’introspection, de la réflexion et de l’espérance. Le jaune du simulacre de communication et de socialisation. Le bleu métallique de la rééducation et enfin le crème de la résignation, de la défaite.
Bien que nous connaissions ce roman, c’est une très belle relecture, une très belle proposition que nous fait l’auteur. A noter que ce dernier a vécu quinze ans avec l’envie de faire cet album. Qu’il soit félicité de sa persévérance car le résultat est superbe. Une très belle découverte. Un superbe album publié par les (souvent très inspirées) éditions Sarbacane.
Scénario: George Orwell & Xavier Coste
Dessin: Xavier Coste
Année: 2021
Éditeur: Sarbacane
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