L’homme gribouillé

Avec L’Homme gribouillé, Frédéric Peeters et Serge Lehman nous proposent un album de bande dessinée somptueux, un conte qui revisite le mythe de l’ogre. Déjà, l’un des albums de l’année.

Synopsis

Paris, 2015. Tandis qu’un déluge s’abat sur Paris, Elisabeth a décidé de s’offrir un verre avant de rentrer. Dans un bar cosy elle doit faire face à une tentative de drague non sollicitée et insistante alors qu’elle subit l’une de ses fréquentes crises d’aphasie qui la laisse temporairement muette. Après avoir éconduit fermement l’inconnu, Elisabeth rejoint le domicile de sa mère où elle retrouve cette dernière en compagnie de sa propre fille pour un souper entre femmes.

Entre les frustrations de son travail, les velléités d’indépendance de sa fille lycéenne et la forte personnalité de sa mère, Elisabeth éprouve les pires difficultés à s’épanouir sereinement, alternant crises d’aphasie, histoires sentimentales inabouties et difficultés de mère célibataire.

Les choses ne s’arrangent pas quand Maud, sa mère, est victime d’un AVC tandis qu’au même instant, un étrange personnage se présente de façon impromptue au domicile de cette dernière. Clara, qui dormait chez sa grand-mère, ouvre la porte à l’inconnu tandis qu’elle essaye désespérément de réveiller Maud. Profitant de l’affolement de la jeune fille, ce dernier se met à fouiller frénétiquement l’appartement avant de disparaitre brutalement non sans avoir laissé un message menaçant et deux plumes noires.

Quand Elisabeth retrouve sa fille, celle-ci est terrorisée, persuadée que l’étrange visiteur vêtu d’un costume d’oiseau s’est volatilisé. Tandis qu’elles fouillent à leur tour l’appartement de Maud, les femmes découvrent des documents intrigants qui attesteraient d’un secret étrange.  

Avis

Dès les premières illustrations, j’ai compris que cette histoire allait m’accompagner bien après la dernière page. Dès le premier tiers, j’ai su qu’il me faudrait ralentir mon rythme de lecture pour en profiter aussi longtemps que possible. Alors, j’ai commencé à adopter un étrange manège: lire une nouvelle page, puis revenir deux pages en arrière pour prolonger le plaisir. J’ai dévoré ce livre en le picorant.

Disons-le d’emblée, L’Homme gribouillé est un superbe album de bande dessinée, un conte qui réveille chez le lecteur adulte le souvenir des plaisirs d’enfance, des lectures sous les draps, des légendes du soir. Un livre peuplé de monstres fantastiques, de forêts profondes et de brouillards inquiétants.

Fruit de l’imagination commune de Frédérik Peeters (RG, Aama, L’odeur des garçons affamés) et de Serge Lehman (La Brigade chimérique), L’homme gribouillé revisite le mythe ancestral du combat du bien contre le mal.

L’histoire repose sur trois piliers narratifs : le secret de famille, la transmission et le mythe du monstre.

L’histoire met en scène une cellule familiale composée uniquement de personnages féminins. Maud la grand-mère – une romancière pour enfants – personnage solaire et protecteur. Elle semble forte et structurée mais elle va être victime d’un accident cérébral qui constituera l’élément déclencheur de l’intrigue. Elisabeth, sa fille, graphiste, contemporaine et citadine, courageuse et combative mais qui semble la plus fragile des trois femmes. Elisabeth qui souffre d’aphasie, une perte temporaire de sa voix quand elle se sent mise en danger. Enfin, Clara, la fille d’Elisabeth, lycéenne espiègle, créative et dégourdie.

L’accident de Maud va déclencher une succession d’évènements qui vont amener Elisabeth et Clara à découvrir qu’il existe un lourd secret de famille, une zone d’ombre dans laquelle sont tapis de dangereux personnages.

Les recherches des  deux femmes vont les entrainer sur la trace d’une famille qui puise ses racines très profondément dans une région reculée de l’est de la France. Une famille dont les ancêtres partagent un destin hors du commun et se sont transmis des rites et des missions très particuliers. Les dernières filles de la lignée se retrouveront confrontées à un choix difficile : briser les traditions ou les accepter, et ce ne sera pas sans conséquences.

Enfin, cette histoire revisite le mythe du monstre de légende. L’ogre est de retour. L’image de Saturne (ou Cronos en grec) est tapie dans l’ombre. Saturne, père de Jupiter, qui de peur d’être détrôné, dévorait ses enfants à leur naissance. Une fois devenu adulte, Jupiter que sa mère a réussi à soustraire à la folie de son père, chassera ce dernier et l’exilera sous terre.

Et pour couronner le tout, il y a cet être masqué, formidable personnage aux plumes noires de jais. Max, le terrifiant Max. Rusé, vif, impitoyable, inspiration géniale des auteurs, qui entre au panthéon des  méchants d’anthologie. D’où viens-tu Max, de Prague peut-être ?

Bref, un récit dense, maîtrisé, captivant jusqu’au bout, une succession de personnages sublimes, grotesques, solaires ou sombres comme le désespoir. Vous croiserez un auteur polydactyle, un magicien d’hypnotiseur, des enquêteurs grimés, un garagiste lunaire, des automates effrayants…

Cerise sur le gâteau narratif, le dessin est sublime : tantôt dynamique, tantôt contemplatif. Frederik Peeters créé un univers gothique, onirique et inquiétant. Sublime pluie qui inonde Paris, brouillard épais et paysage montagneux  qui font frissonner. Un feu d’artifice de détails et  des personnages très expressifs magnifient cette histoire.

C’est rare, L’homme gribouillé a fait l’unanimité au sein de notre équipe. Sublime, fascinant, passionnant.

Nous ne sommes qu’en janvier mais Peeters et Lehman signent l’un des albums de l’année 2018.

Précipitez-vous, ce sera un classique.

Scénario : Serge Lehman

Dessin : Frederik Peeters

Année : 2018

Date de sortie: Janvier 2018

Editeur : Delcourt

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