Je mourrai pas gibier

Je mourrai pas gibier_Rosebul.frScénario : Guillaume Guéraud

Dessin : Alfred

Synopsis :

A Mortagne, il n’y a toujours eu que deux activités possibles : la vigne ou le bois. Deux employeurs : Le Château Clément ou la scierie Listrac. Deux clans.

Ceux de Listrac haïssent ceux du Château. Et réciproquement. Tant et si bien que cela finit toujours en baston lors des fêtes de village, même lors de la fête annuelle des chasseurs. Pourtant, la seule chose qui les réunit, c’est leur amour immodéré de la chasse. Tirer sur tout ce qui bouge pour évacuer un trop plein de frustration et de violence. A Mortagne, on a un dicton : « Je suis né chasseur, Je mourrai pas gibier »

Moi le hasard m’a fait tomber du côté de la scierie. Pas d’échappatoire. Dans ma famille tout le monde bosse chez Listrac de génération en génération. Pour preuve, mon père a fini par chopper le cancer du scieur et on m’en tient pour responsable parce que je suis parti faire un CAP mécanique.

Le médecin a dit que mon père ne verrait pas la fin de l’été alors mon frère a décidé de se marier.

Aujourd’hui, ce devait être jour de fête à Mortagne, mais ici on ne sait jamais comment cela finit. Aujourd’hui, j’ai fini par monter à l’étage, armé du fusil de chasse de mon père et de là… j’ai tiré.

Il faudra bien que quelqu’un explique tout ça. Il y a des gens dont c’est le métier. Moi, je ne vois pas bien ce que je pourrais leur dire.

 Avis

je mourrai pas gibier_Rosebul.frAdapté d’un roman de Guillaume Guéraud, cet album a été publié chez Delcourt en 2009 dans la superbe collection Mirages. Je mourrai pas gibier est un roman graphique d’Alfred, auteur, entre autres, de Pourquoi j’ai tué Pierre (Edition Delcourt / 2006 – Prix du public et prix Essentiel à Angoulême en 2007) et de Come Prima (Edition Delcourt / 2013 – prix du meilleur Album à Angoulême en 2014).

Alfred aurait fait un formidable boxeur. La première image vous frappe à l’estomac. Les suivantes vous atteignent au menton. Au bout de 5 pages, vous êtes sonné et vous resterez hébété jusqu’au dernier dessin.

C’est un récit très fort qui commence de manière très brutale. Un jeune garçon git sur le sol. Il s’est fracturé le tibia en sautant du premier étage de la maison familiale. Autour de lui, tout n’est que chaos. Les corps gisent, les rescapés fuient et pleurent. Avant de se défénestrer, le jeune garçon a ouvert le feu sur les invités réunis dans le jardin à l’occasion du mariage de son grand frère, faisant sept victimes.

Cet adolescent de seize ans, c’est le narrateur.

 Passée cette mise en situation qui ne laisse aucune place à l’espoir, et au moyen d’un récit à la première personne, le narrateur nous décrit le contexte et les évènements qui ont précédé, qui ont provoqué le carnage. Alors lentement, on glisse dans cet univers violent, tragique, ordinaire, comme on s’enfoncerait dans des sables mouvants.

Un village isolé, un univers étriqué, une violence mentale et physique. Un fait divers.

Lentement, les auteurs nous décrivent cette lente descente aux enfers du protagoniste principal. Il ne s’agit ni de justifier, ni de pardonner mais de décrire le parcours de cet adolescent ayant grandi dans un univers aux horizons bouchés. Mais est-il le héros de cette histoire ? Les principaux protagonistes ne sont-ils pas les personnages secondaires, son frère ainé et son pote Frédo, Térence le benêt du village, voire le village tout entier.

Le narrateur quant à lui n’a pas de prénom. A aucun moment il n’est mentionné. Même son ombre n’est que suggérée sur la couverture. Il est le fruit d’une succession d’évènements tragiques, un catalyseur.

Il rumine cet adolescent, il rumine et il ne dispose de personne pour partager sa peine, de personne à qui se confier, alors il va employer le seul langage que peut comprendre son entourage, la violence. Une violence absolue, aveugle et irraisonnée.

J’ai beaucoup aimé cet album. A l’origine il m’a été conseillé par un lecteur de BD rencontré au hasard d’une discussion dans une file d’attente pour obtenir une dédicace d’un autre auteur. Que cet aimable collègue qui m’a fait découvrir le beau travail d’Alfred en soit ici remercié.

Je l’ai déjà mentionné dans ces pages, j’aime beaucoup le travail d’Alfred, savant mélange de simplicité, de poésie. Je vous souhaite une très, très bonne lecture.

Je mourrai pas gibier_vignette_rosebul.fr

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